(Popasna) De la cave d’un immeuble en partie détruit, trois soldats émergent, les traits tirés : à Popasna, l’armée ukrainienne résiste malgré d’incessants bombardements russes sur cette ville de l’est de l’Ukraine.

Les frappes de l’artillerie claquent. Leur écho résonne sur les barres d’immeubles d’un quartier ouest de cette localité, d’environ 20 000 habitants avant la guerre.

L’entrée de la ville offre un paysage de désolation.

Il ne reste plus rien d’une station-service, à part son toit défoncé et brûlé. Des branches d’arbres jonchent les rues. Des bâtiments sont éventrés. Aucun n’est intact. Du verre, des morceaux de bois, de portes et de ferraille parsèment le sol, comme après une tornade.

Seul le bruit des puissantes explosions interrompt celui de la pluie qui tombe sans discontinuer.

Quelques rares personnes vivent encore là, enterrées dans des caves.

Comme les trois militaires rencontrés jeudi par l’AFP.

« Les gars viennent de rentrer du combat, ils se reposent », explique « Semenovytch », la cinquantaine, qui se fait appeler par un pseudonyme.

L’un porte un pantalon de treillis et un pull bleu torsadé. Il a le visage émacié, des cernes sous les yeux.

Un autre, la soixantaine passée, veste de treillis ouverte, longue barbe grise, paraît épuisé. Il disparaît dans le fond noir de la cave pour se recoucher.

Treillis et parka camouflés bien portés, un bonnet bleu sur la tête, serré par une petite lampe frontale à la lumière crue, Semenovytch « dit ne pas connaître » les dernières nouvelles, « il n’y a pas de l’internet ici, ni de réseau téléphonique ».

 « Nous résisterons »

 « Les Russes essaient d’avancer deux ou trois fois par jour. C’est bien qu’il pleuve aujourd’hui, le bombardement est moins intense. Parfois, c’est 24 heures sur 24 et sept jours sur sept, parfois c’est un peu plus calme la nuit », raconte-t-il.

Les Russes attaquent « les infrastructures, les bâtiments et les civils. Ce n’est pas une guerre, c’est un génocide. Je ne sais pas comment l’appeler autrement », lâche-t-il.

Le soldat l’assure : « Nous gardons nos positions et nous espérons la victoire. Nous résisterons ».

Dans l’arrière-boutique d’une supérette totalement détruite, dans le même immeuble où les soldats se reposent, quatre gilets pare-balles, deux casques et une roquette de RPG7 sont posés sur le sol.

Mardi, le ministère russe de la Défense avait annoncé que « des unités d’artillerie » avaient frappé une unité ukrainienne à Popasna, donnant un bilan de « plus de 120 membres du personnel de l’unité » tués et « onze véhicules blindés » détruits. Des chiffres impossibles à vérifier.

Popasna est un verrou stratégique situé à moins de 4 km de limite du Donbass, dont une partie est contrôlée depuis 2014 par des séparatistes prorusses.

Si cette ville tombe, ce sera une brèche ouverte par les Russes pour remonter à 50 km vers le nord-ouest, et atteindre les cités jumelles de Slaviansk et de Kramatorsk, capitale de fait de l’Est contrôlé par Kyiv.

À une cinquantaine de kilomètres au nord de ces deux villes, les Russes ont déjà pris Izioum et sont aux portes de Severodonetsk. Comme à Popasna, ces localités ont été la cible d’intenses bombardements russes.

 « Je l’ai vu de mes propres yeux à Izioum. Les Russes utilisent la tactique de la terre brûlée. Je ne sais pas pourquoi ils ont frappé si durement cette ville », explique à l’AFP un militaire ukrainien, qui se fait appeler « Benya », interrogé sur la tactique des forces russes.

Blessé à Izioum, il est soigné pour une commotion cérébrale dans un hôpital près de Kramatorsk.  

 « Quand nous approchions, ils (les Russes) n’entraient pas au combat avec nous, ils se cachaient derrière l’artillerie », dit-il.

À Popasna, les bombardements, Olena Charpaï en a « vraiment peur ».

Elle aura 60 ans à la fin du mois et aurait aimé tranquillement profiter de sa retraite d’infirmière.

 « Jamais silencieux »

Mais, depuis le 6 mars, elle vit avec quatre autres personnes dans une cave de 15 m2, dans le même immeuble où les soldats ukrainiens se reposent.

 « J’ai besoin qu’il y ait le silence pour sortir, mais ce n’est jamais silencieux, parce que cela bombarde toujours quelque part », souligne-t-elle, en caressant Souris, son chat gris âgé de 14 ans.

Elle ne va plus dans son appartement du rez-de-chaussée, dont toutes les vitres ont volé en éclats.

Au sous-sol, dans le réduit bien rangé, disposant de quatre banquettes-lits et éclairé avec des lampes branchées sur des batteries de véhicule, il y a encore de quoi manger.  

 « Parfois les soldats nous apportent du pain », dit-elle. Pour l’eau, ils collectent celle de la pluie.

Dans son immeuble, une vieille femme est morte d’un AVC et un homme a été tué par un éclat d’obus. Ils ont été enterrés dans le jardin à l’arrière du bâtiment.

 « Il y a une famille avec des enfants dans l’immeuble en face. Ils n’ont pas voulu être évacués », raconte la sexagénaire.

Olena Charpaï aurait quant à elle aimé être évacuée.

Jeudi, la vice-première ministre ukrainienne Iryna Verechtchouk avait annoncé une reprise des évacuations avec des couloirs humanitaires, notamment à Popasna.

Mais « les cars ne viennent plus », regrette Olena.

Dehors, une salve d’artillerie russe fracasse à nouveau la ville.