De nombreux pays occidentaux ont annoncé mardi une première vague de sanctions contre Moscou en réaction à l’annonce du déploiement de troupes russes dans les territoires séparatistes de l’est de l’Ukraine sans pour autant infléchir la posture belliqueuse de Vladimir Poutine.

Dans une allocution à la Maison-Blanche, le chef d’État américain Joe Biden a fustigé la décision de son homologue russe en relevant qu’il s’agit du « début d’une invasion » du pays devant être freinée par une réponse ferme de la communauté internationale.

Mon Dieu ! Qu’est-ce qui fait croire à Poutine qu’il a le droit de déclarer l’existence de pays supposément nouveaux sur un territoire appartenant à ses voisins ?

Joe Biden, président des États-Unis

M. Biden a souligné que des mesures avaient été mises en place pour limiter l’accès de l’État russe aux capitaux occidentaux, gêner l’action de deux grandes institutions bancaires et sanctionner des membres de l’élite russe proches de M. Poutine.

Le dirigeant américain a promis que d’autres sanctions s’ajouteraient en fonction des actions futures de la Russie, qui a aussi été ciblée mardi par l’Union européenne.

PHOTO ASSOCIATED PRESS

Chars militaires des séparatistes prorusses dans une rue de Donetsk, dans l’est de l’Ukraine

Le chef de la diplomatie européenne, Josep Borrell, cité par l’Agence France-Presse, a annoncé qu’une série de mesures susceptibles de faire « très mal » à Moscou avaient été approuvées à l’unanimité.

Tous les membres de la Chambre basse du Parlement russe qui avaient appelé la semaine dernière Vladimir Poutine à reconnaître l’indépendance des territoires séparatistes verront notamment leurs avoirs à l’étranger gelés et seront soumis à des restrictions de visa.

PHOTO ARIS MESSINIS, AGENCE FRANCE-PRESSE

Trois femmes courent pour se mettre à l’abri pendant un bombardement à Chtchastia, près de Lougansk.

L’Allemagne a annoncé par ailleurs la suspension du processus d’approbation du gazoduc Nord Stream II reliant la Russie à l’Allemagne, un enjeu économique important pour les deux pays.

Le Canada et la Grande-Bretagne ont aussi annoncé des mesures à l’encontre de Moscou, qui a écarté ces initiatives avec un haussement d’épaules.

« Nos collègues européens, américains, anglais n’arrêteront pas et ne se calmeront pas tant qu’ils n’auront pas épuisé toutes les possibilités existantes pour soi-disant punir la Russie », a déclaré le ministre des Affaires étrangères russe, Sergueï Lavrov, cité par Reuters.

La visite prévue jeudi à Paris de M. Lavrov, qui devait discuter des modalités d’un hypothétique sommet entre les dirigeants russe et américain, ainsi qu’une rencontre fixée avec le secrétaire d’État américain, Antony Blinken, ont été annulées dans la journée, confirmant l’impasse diplomatique actuelle.

Exigence inadmissible

Brian Taylor, spécialiste de la Russie rattaché à l’Université de Syracuse, a indiqué mardi que l’annonce de sanctions et leur effet potentiel avaient sans doute été anticipés par le Kremlin avant la reconnaissance de l’indépendance des territoires contrôlés par des séparatistes prorusses au Donbass, dans l’est de l’Ukraine, et le déploiement annoncé de soldats russes pour une mission de « pacification ».

Je ne pense pas que les sanctions vont affecter Poutine par rapport à sa stratégie militaire. La seule chose susceptible de le convaincre de retenir les chars serait que le gouvernement ukrainien renonce à la possibilité d’être intégré un jour à l’OTAN et se déclare neutre.

Brian Taylor, spécialiste de la Russie

Une telle posture, souligne M. Taylor, n’a aucune chance de se matérialiser et serait politiquement intenable pour le gouvernement du président de l’Ukraine Volodymyr Zelensky, qui refuse de céder la moindre « parcelle » du pays à la Russie.

PHOTO MAXAR TECHNOLOGIES, ASSOCIATED PRESS

Vue aérienne de troupes et d’équipement déployés dans une région rurale au sud-ouest de la ville russe de Belgorod, à quelque 20 km de la frontière ukrainienne

M. Zelensky a annoncé mardi la conscription des réservistes pour renforcer les rangs de l’armée, mais a exclu une mobilisation générale de la population.

Eugene Rumer, spécialiste de la Russie rattaché au Carnegie Endowment for International Peace, pense aussi qu’il est peu probable que Vladimir Poutine change sa stratégie en raison de l’annonce de sanctions, sévères ou non.

Le Kremlin, dit-il, a continué à mettre en place mardi « les morceaux du puzzle » requis pour parvenir à ses fins militaires en obtenant du Parlement russe l’autorisation de déployer des soldats à l’étranger.

PHOTO UMIT BEKTAS, REUTERS

Des manifestants brandissant des drapeaux ukrainiens et européens dénoncent la décision de Vladimir Poutine de reconnaître l’indépendance de régions séparatistes prorusses devant l’ambassade de la Russie à Kiev.

Une intervention « choc »

Alors que nombre de pays occidentaux affirment le contraire, Vladimir Poutine a maintenu que des soldats russes n’avaient pas encore été envoyés sur le sol ukrainien et que le scénario pourrait même être évité si Kiev accepte de céder à ses demandes.

M. Rumer note que le dirigeant russe a confirmé du même coup que la reconnaissance des territoires séparatistes s’étendait à l’ensemble du Donbass, une précision qui pourrait s’avérer lourde de conséquences pour la suite des choses puisque l’armée ukrainienne contrôle une part importante de la région.

PHOTO SERGEI SUPINSKY, AGENCE FRANCE-PRESSE

Des soldats ukrainiens transportent le cercueil du capitaine Anton Sidorov à l’occasion d’une cérémonie à sa mémoire. Âgé de 35 ans, le père de trois enfants est mort lors d’un récent bombardement sur la ligne de front avec les séparatistes soutenus par la Russie.

Le régime russe, prévient l’analyste, pourrait tenter de faire avancer ses troupes au-delà de la ligne de contact séparant depuis plusieurs années les deux camps. La manœuvre forcerait Kiev à engager le combat et pourrait servir de prétexte à une action militaire à grande échelle de la part de la Russie.

« La prochaine étape logique pour Poutine dans les prochains jours est d’initier cette poussée militaire. Je ne vois pas pourquoi il attendrait longtemps », note M. Rumer, qui s’attend à ce que Moscou combine ultimement diverses techniques, y compris des cyberattaques et des frappes aériennes, pour une intervention « choc » susceptible de faire tomber le gouvernement ukrainien.

PHOTO GLEB GARANICH, REUTERS

Des travailleurs regardent à l’intérieur d’une maison détruite la veille lors de bombardements près de la ligne de front, dans la ville de Novoluhanske, non loin de Donetsk.

Les propos agressifs tenus lundi par le président russe envers l’Ukraine, décrit comme une « colonie » des États-Unis représentant une grave menace pour son pays, laissent bien comprendre que le contrôle du Donbass n’est qu’un enjeu secondaire, souligne l’analyste.

Sam Greene, un politologue rattaché au King’s College de Londres, a indiqué mardi sur Twitter que les dernières annonces russes permettaient de maintenir la pression sur le régime ukrainien et les pays occidentaux, quel que soit l’objectif militaire ultime du Kremlin.

« Moscou va effectivement se “réserver le droit” de continuer à faire avancer ses troupes, forçant Kiev, Bruxelles et Washington à inclure la possibilité d’une guerre dans tous leurs calculs », a-t-il prévenu.