(Moscou) La justice russe a ajourné lundi le procès visant à qualifier d’« extrémistes » les organisations de l’opposant Alexeï Navalny, une mesure destinée selon ses partisans à le faire taire en mettant tout son mouvement hors-la-loi.

Après seulement une heure d’audience, le tribunal municipal de Moscou a renvoyé au 9 juin ce procès se déroulant à huis clos. Selon l’équipe d’avocats « Komanda 29 », qui défend les organisations en question, l’accusation a présenté de nouveaux éléments nécessitant ce report.

« Nous avons reçu six nouveaux volumes non classifiés et nombre d’autres classés secrets », a expliqué à la sortie du tribunal l’avocat Ivan Pavlov.

Cette audience intervenait à la veille de la première lecture mardi d’une proposition de loi interdisant aux personnes impliquées dans des formations « extrémistes » d’être députés, un texte élaboré avant les législatives de septembre auxquelles comptaient participer des partisans de M. Navalny. Lui est inéligible et incarcéré depuis janvier.

Le parquet a demandé mi-avril que plusieurs organisations liées à l’opposant soient déclarées « extrémistes », un qualificatif qui ferait encourir à ses collaborateurs de lourdes peines de prison. Fin février, Alexeï Navalny a lui-même été condamné à deux ans et demi d’emprisonnement pour une affaire de fraude datant de 2014 et largement considérée comme politique.

La demande du ministère public vise le Fonds de lutte contre la corruption (FBK) de Navalny, connu pour ses enquêtes dénonçant les malversations des élites russes, ainsi que les bureaux régionaux du militant qui organisent des manifestations et des campagnes électorales.  

Ces bureaux ont annoncé leur autodissolution le mois dernier, après avoir déjà été ajoutés fin avril à une liste d’organisations « extrémistes et terroristes » du service russe des renseignements financiers, où figurent notamment les groupes djihadistes Al-Qaïda et État islamique (EI).

Selon le bureau du procureur, les organisations de Navalny cherchent à « déstabiliser la situation sociale et sociopolitique » en Russie « sous couvert de slogans libéraux ».

Un avocat du FBK, Ilia Novikov, a lui soutenu lundi que l’organisation est visée parce que ses membres sont « les candidats les plus populaires » aux prochaines élections.

« Peur » de la compétition électorale

Les bureaux des mouvements de l’opposant et les domiciles de ses collaborateurs ont fait l’objet de nombreuses perquisitions ces dernières années et le FBK a déjà été classé « agent de l’étranger », un acharnement destiné à le faire taire, selon Alexeï Navalny.

Le quotidien Kommersant, qui cite une source policière, a affirmé lundi que ce procès pour « extrémisme » se déroulait à huis clos, car les données personnelles de membres des services de sécurité sont citées dans le dossier.

Ivan Jdanov, un proche collaborateur d’Alexeï Navalny, a rejeté cette version, affirmant sur Twitter que le dossier a été classé secret « pour que personne ne puisse voir l’absurdité de ce qui se passait ».

À l’approche d’élections législatives en septembre, le Kremlin ne semble vouloir laisser aucune chance à l’opposition, alors que le parti au pouvoir Russie unie est impopulaire après des années de stagnation économique et de scandales de corruption.

La Douma-chambre basse du Parlement-doit se pencher mardi sur la proposition de loi interdisant d’élection toute personne ayant occupé un poste à responsabilité dans une organisation « extrémiste ». Proposé par des députés de Russie unie, le texte devrait être adopté sans difficulté.

Aux yeux de Lioubov Sobol, une alliée de M. Navalny qui comptait se présenter, ce texte montre que le parti au pouvoir « a terriblement peur d’une compétition honnête ».

Principal opposant russe, connu pour ses critiques acharnées du régime de M. Poutine, Alexeï Navalny espérait présenter des candidats aux législatives et, là où ça ne serait pas possible, pratiquer sa tactique du « vote intelligent » visant à soutenir les candidats les plus à même de battre les représentants du Kremlin.  

Le FBK avait réalisé en janvier son enquête la plus retentissante, accusant le président Vladimir Poutine d’être le bénéficiaire d’un « palais » au bord de la mer Noire. La vidéo, vue plus de 116 millions de fois sur YouTube, avait forcé M. Poutine à démentir en personne, chose rare.