La pandémie de COVID-19 continuera de dominer l’actualité dans la nouvelle année, qui promet néanmoins d’être riche en rebondissements de tout ordre. La Presse a demandé à cinq experts de nommer les dossiers qu’ils estiment important de suivre de près dans leur région d’intérêt.

Moyen-Orient

Le nucléaire iranien

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Le président de l’Iran, Hassan Rohani

Le départ de Donald Trump de la Maison-Blanche le 20 janvier marquera l’ouverture d’une nouvelle étape clé dans le dossier nucléaire iranien. Le président américain sortant a désavoué en 2018 l’accord international conclu trois ans plus tôt en vue de garantir le caractère civil du programme, poussant Téhéran à enfreindre plusieurs clauses restrictives en guise de protestation. Thomas Juneau, spécialiste du Moyen-Orient rattaché à l’Université d’Ottawa, note que le président désigné, Joe Biden, se montre disposé à retirer les sanctions économiques ajoutées par l’administration Trump si le régime iranien revient à ses engagements sur le nucléaire. L’exercice risque d’être plus compliqué que prévu, relève M. Juneau, notamment parce que certaines dispositions de l’accord international arrivaient à échéance en 2020 et devront être renégociées. L’assassinat récent d’un scientifique iranien, imputé à Israël par l’Iran, a galvanisé les tenants de la ligne dure dans le pays, compliquant la tenue de pourparlers alors qu’une élection présidentielle importante est prévue l’été prochain.

La Syrie oubliée

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Thomas Juneau voit mal comment la Syrie pourra être reconstruite dans les circonstances actuelles.

La guerre civile syrienne, qui a fait des centaines de milliers de morts et des millions de réfugiés, ne retient plus l’attention internationale comme par le passé, mais elle ne doit pas pour autant sombrer dans l’oubli, plaide Thomas Juneau. Bachar al-Assad a réussi, avec l’aide de la Russie et de l’Iran, à demeurer en selle, mais des combats continuent dans le pays, notamment dans la province d’Idlib, sous le joug d’islamistes, et la population est à bout. « La frustration est énorme à cause de la pauvreté, de la corruption et de la brutalité du régime », relève le chercheur, qui insiste sur le fait que Bachar al-Assad paraît trop « affaibli et vulnérable » pour rétablir véritablement son emprise à l’échelle du territoire. Dans plusieurs secteurs, des militaires agissent comme des chefs de guerre, profitant de trafics avec les pays voisins, souligne M. Juneau, qui voit mal comment la Syrie pourrait être reconstruite dans les circonstances actuelles. « La communauté internationale ne va pas investir et la Russie et l’Iran n’ont pas l’argent pour le faire », résume-t-il.

Afrique

L’Éthiopie sur un volcan

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Le premier ministre éthiopien Abiy Ahmed a opté pour les armes l’année dernière en lançant une offensive musclée dans le Tigré.

Le premier ministre de l’Éthiopie Abiy Ahmed, qui avait remporté le prix Nobel de la paix en 2019 pour ses efforts de rapprochement avec l’Érythrée voisine, a opté pour les armes l’année dernière en lançant une offensive musclée dans le Tigré. Les dirigeants de cette région autonome ont tenu en septembre des élections locales malgré l’avis contraire du gouvernement fédéral, précipitant un affrontement que M. Abiy prétend avoir gagné haut la main. Martin Plaut, journaliste et universitaire spécialiste de l’Afrique, pense que la victoire annoncée est illusoire et que les combattants tigréens ont temporairement battu en retraite en vue de lancer une guérilla de longue durée. L’approche musclée du premier ministre est périlleuse pour le pays, dit M. Plaut, puisque plusieurs autres groupes ethniques risquent de se demander « s’ils ne seront pas les prochains à être ciblés » par Addis Abeba et d’intensifier en conséquence leurs demandes d’autonomie, au risque de pousser le pays vers une fragmentation potentiellement catastrophique.

L’Afrique du Sud sous pression

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Le président de l’Afrique du Sud, Cyril Ramaphosa

Le géant africain se retrouve au pied du mur sur le plan économique, ce qui pourrait compliquer sensiblement la position du président Cyril Ramaphosa. Martin Plaut relève que le pays a récemment subi une décote sévère de la part des agences de cotation qui risque de l’obliger à se tourner vers le Fonds monétaire international (FMI) pour assurer ses besoins de financement. L’organisation risque d’exiger en contrepartie des mesures de redressement sévères qui pourraient notamment forcer le chef d’État à couper dans une fonction publique surdimensionnée alors qu’une fraction alarmante de la population se trouve au chômage. M. Ramaphosa doit parallèlement tenter d’endiguer la corruption alors que d’anciennes pointures du Congrès national africain (ANC), dont l’ex-président Jacob Zuma, sont montrées du doigt. « Toutes les avenues qu’il peut emprunter sont impopulaires et peu susceptibles d’être appuyées par son parti », relève M. Plaut, qui s’attend à d’importantes perturbations politiques.

Asie

Indignation en vue ?

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Le renforcement du contrôle de la Chine sur Hong Kong a été marqué par de nombreuses manifestations.

La Chine, qui a décidé de renforcer son contrôle sur Hong Kong en 2020 en imposant une loi draconienne sur la sécurité nationale tout en poursuivant dans le Xinjiang une politique répressive ayant mené à la détention arbitraire de centaines de milliers de musulmans, devra-t-elle rendre des comptes en 2021 ? « Il faut surveiller si l’indignation internationale envers ces abus des droits de l’homme gagne en importance », relève Jeff Wasserstrom, de l’Université de Californie à Irvine. Le chercheur s’attend notamment à ce que les discussions relativement à un possible boycottage des Jeux olympiques d’hiver prévus à Pékin en février 2022 gagnent en intensité. Il pense par ailleurs que l’arrivée au pouvoir de Joe Biden aux États-Unis compliquera la donne pour Pékin puisqu’il a promis de renouer avec les alliés traditionnels du pays en Asie et au-delà pour faire pression sur le régime communiste. « Pékin a montré jusqu’à maintenant une absence totale de remords et a profité du fait que le monde est occupé par la pandémie pour durcir ses actions », dit M. Wasserstrom.

Les Thaïlandais dans la rue

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Les manifestations contre la mainmise de l’armée et de la monarchie se multiplient depuis des mois en Thaïlande.

De nombreux Thaïlandais en ont soupé de la mainmise de l’armée et de la monarchie et multiplient depuis des mois les manifestations malgré les menaces des autorités. Le conflit, relève Jeff Wasserstrom, « approche d’un seuil critique » qui fait craindre le pire puisque les mouvements de contestation populaire dans le pays ont souvent été réprimés par la manière forte dans le passé. Prayut Chan-o-cha, ex-militaire devenu premier ministre en 2014 après avoir mené un coup d’État contre Thaksin Shinawatra, ne montre aucun signe de vouloir s’en aller même s’il avait promis de prendre le pouvoir uniquement le temps d’assurer la tenue de nouvelles élections. Les protestataires thaïlandais, qui ont tissé des liens avec des manifestants prodémocratie à Hong Kong et à Taïwan à travers le Milk Tea Alliance, un regroupement informel articulé à travers les réseaux sociaux, n’en espèrent pas moins un déblocage. « Il est très difficile de savoir si un véritable changement s’en vient », relève M. Wasserstrom.

Amérique latine

Dissonance et virus

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Le président du Brésil, Jair Bolsonaro

Plusieurs pays d’Amérique latine ont été secoués au cours des dernières années par des mouvements de protestation d’envergure. Le Pérou, où trois présidents se sont succédé en une semaine à l’automne, est devenu le plus récent exemple de l’importance de la colère qui gronde au sein de populations frustrées par les difficultés économiques et la « déconnection » apparente de la classe politique. Ken Frankel, qui préside le Conseil canadien pour les Amériques, pense que la pandémie de COVID-19, sévère dans la région, vient exacerber la grogne et risque d’alimenter les débordements dans l’année qui vient. Le chercheur pense qu’il faut notamment accorder une attention particulière au Brésil et au Mexique, où les dirigeants populistes en place, Jair Bolsonaro et Andrés Manuel López Obrador, sont sous pression. Tout retard ou raté majeur dans le processus de vaccination risque d’être mal reçu par leurs concitoyens, qui ont dû composer avec des taux d’infection et de décès élevés imputables en partie à l’aversion des deux hommes pour des mesures de confinement sévères.

L’effet Biden

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Le président désigné des États-Unis, Joe Biden

Le président sortant des États-Unis, Donald Trump, a fait peu de cas durant son premier mandat de la question des droits de l’homme ou de la corruption, allant jusqu’à clamer ouvertement son affection pour des dirigeants autoritaires comme le président russe Vladimir Poutine ou le dictateur nord-coréen Kim Jong-un. Cette absence apparente d’intérêt n’a pas échappé aux dirigeants d’Amérique latine, relève Ken Frankel. Les gouvernements de certains pays en ont profité pour remercier des enquêteurs chargés de faire le ménage dans les mœurs de la classe politique, comme au Guatemala, ou pour détourner le regard face à l’action de groupes armés, comme en Colombie. La donne risque de changer avec l’arrivée au pouvoir de Joe Biden, relève le chercheur, qui s’attend à ce que le nouveau président américain remette la question des droits de l’homme au premier plan et pèse du même coup sur les politiques internes de nombreux pays. La gestion de l’immigration, utilisée comme un repoussoir par l’administration Trump, devrait aussi susciter de nombreuses discussions.

Europe

La suite du Brexit

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Le Brexit continuera d’attirer l’attention dans l’année qui vient alors que les retombées pratiques de cette séparation historique vont commencer à se manifester aux frontières.

Le Brexit a fait couler beaucoup d’encre depuis qu’une mince majorité de la population du Royaume-Uni a voté pour la sortie de l’Union européenne en 2016. Et le sujet continuera d’attirer l’attention dans l’année qui vient alors que les retombées pratiques de cette séparation historique vont commencer à se manifester aux frontières. « Ça va devenir très tangible », note Frédéric Mérand, du Centre d’études et de recherches internationales de l’Université de Montréal (CERIUM), qui s’attend à ce que les images de files d’attente à la frontière se multiplient. Le chercheur ne pense pas que d’autres pays membres de l’UE chercheront à marcher dans les pas de Londres. Les difficultés rencontrées dans le cadre des négociations « ont eu l’effet d’une douche froide » et fait augmenter, à l’échelle du continent, le pourcentage de gens attachés à la construction européenne, dit-il. M. Mérand pense qu’il faut plutôt surveiller, du côté de l’UE, les tensions nord-sud entre pays riches et pauvres et « le conflit de valeurs » Est-Ouest découlant des poussées autoritaires de régimes en place en Hongrie et en Pologne.

Le départ d’Angela Merkel

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La chancelière de l’Allemagne, Angela Merkel

L’année sera marquée par le départ d’une figure incontournable de la politique européenne et internationale, Angela Merkel, qui tirera sa révérence après 16 années de pouvoir. Frédéric Mérand note que la tenue en septembre d’élections fédérales qui formaliseront le départ de la populaire chancelière « vont entraîner beaucoup de spéculations sur l’orientation que prendra l’Allemagne », même si le « gros paquebot » que représente le gouvernement du pays, souvent issu de coalitions, « ne change pas facilement de cap ». Mme Merkel, malgré son étiquette de conservatrice, a fait des paris « audacieux » sur le plan politique, souligne le chercheur. Notamment en matière d’environnement, en annonçant l’abandon à terme de l’énergie nucléaire, et d’immigration, en optant en 2015 pour une politique d’ouverture envers les réfugiés syriens qui a soulevé d’importantes tensions dans le pays. Elle a aussi surpris sur la scène européenne, favorisant notamment à la fin de 2020 l’adoption d’un plan de relance intégrant une mutualisation des dettes entre pays membres, une avenue longtemps écartée par Berlin.