Le prix du baril de pétrole ne cesse de reculer sur les marchés depuis plusieurs mois. Le mouvement de repli fait sentir son effet bien au-delà des milieux financiers et s'avère potentiellement lourd de conséquences pour plusieurs pays dépendants de cette précieuse ressource énergétique. Petit tour d'horizon des États les plus affectés par la reconfiguration géopolitique en cours.

Le cours du pétrole, à son plus bas niveau en cinq ans, est matière à réjouissance pour certains pays et source de préoccupation majeure pour d'autres qui doivent composer avec une trop grande dépendance envers l'or noir.

Paul Stevens, analyste du secteur énergétique à Chatham House, un institut de recherche londonien, note que plusieurs États risquent d'être confrontés à une instabilité politique croissante si la tendance à la baisse se poursuit.

C'est particulièrement vrai pour les pays producteurs qui ont omis, au fil des ans, de diversifier leur économie, note-t-il.

«Un gouvernement qui fournissait des emplois et des subventions à la consommation ou d'autres formes de soutien pour garder la population dans le rang et qui est incapable de continuer faute de ressources risque d'être confronté à des troubles politiques», résume M. Stevens.

La semaine dernière, cette préoccupation était bien présente à l'esprit de plusieurs participants au sommet de l'Organisation des pays exportateurs de pétrole (OPEP), qui a décidé malgré tout, sous forte pression des pays du golfe Persique, de ne pas réduire sa production totale, alimentant la baisse des prix.

Au dire du spécialiste de Chatham House, l'Arabie saoudite, le Qatar, le Koweït et les Émirats arabes unis peuvent composer pour une période de temps «assez longue» avec un baril à prix réduit, parce qu'ils disposent d'importantes provisions financières et de réserves pétrolières considérables.

Ce n'est pas le cas pour la plupart des autres pays membres de l'organisation, note le spécialiste, qui cite le Venezuela et le Nigeria comme exemples de pays fragilisés.

Une approche plus conciliante?

En se basant sur des considérations similaires, certains analystes en viennent à prédire que la Russie et l'Iran connaîtront aussi des lendemains difficiles à cause de la baisse du prix du pétrole et pourraient être contraints de se montrer plus conciliants en matière de politique étrangère.

Suzanne Maloney, du Brookings Institution, pense cependant qu'un tel dénouement est loin d'être acquis dans le cas de Téhéran et de Moscou. «Je ne pense pas qu'on verra un impact immédiat sur la stabilité de ces régimes. Ils ont l'habitude de composer avec l'austérité et la volatilité des prix», indique la spécialiste.

La position ferme adoptée la semaine dernière par Téhéran lors de négociations menées à Genève relativement à son programme nucléaire témoigne, selon elle, de cette situation.

«Malgré les difficultés économiques en cours, ils ont l'impression d'avoir de la marge de manoeuvre. Ils veulent une entente, mais à leurs conditions, qui demeurent inacceptables pour la communauté internationale», note-t-elle.

Brenda Shaffer, spécialiste du secteur énergétique rattachée à l'Université de Georgetown, à Washington, prévient de son côté qu'une crise économique n'a pas nécessairement pour effet de «modérer la politique étrangère d'un pays donné», même si cette impression est largement répandue.

«Dans certains cas, on peut même assister à l'effet contraire. Tout comme les sanctions économiques, l'austérité ne stimule pas nécessairement le ressentiment de la population envers son propre gouvernement. Elle peut mobiliser les gens contre des ennemis étrangers qui sont présentés et perçus comme la cause de leur misère économique», souligne-t-elle.

Mme Shaffer croit néanmoins que la Russie pourrait être tentée de mettre la pédale douce dans le dossier ukrainien de manière à favoriser ses exportations de gaz.



Rumeurs de «complot»

Au sein du pays, les médias spéculent parallèlement sur un possible «complot» entre les États-Unis et l'Arabie saoudite qui viserait à maintenir le cours du pétrole au plus bas pour nuire au régime de Vladimir Poutine.

Le scénario paraît peu crédible aux yeux des analystes consultés par La Presse, qui expliquent l'approche de la monarchie saoudienne par sa volonté de conserver ses parts du marché pétrolier.

Paul Stevens, de Chatham House, note que le pays en veut aux États-Unis en raison de l'approche trop conciliante suivie en Syrie envers le régime de Bachar al-Assad ou des discussions en cours avec l'Iran, mais ces enjeux sont étrangers, selon lui, à la décision de ne pas diminuer sa production.

«Son objectif est de ralentir la production de gaz et de pétrole des États-Unis» en faisant chuter les prix, note-t-il.

La baisse risque de rendre moins intéressants les investissements dans l'exploitation du pétrole de schiste, qui a fait augmenter la production américaine de pétrole de 1 million de barils par jour au cours de la dernière année. La production canadienne de pétrole, passablement coûteuse, devrait aussi être touchée.

Court répit pour l'Iran

Et dire que le gouvernement iranien pensait sortir du bois. La chute du prix du baril de pétrole vient jeter bien de l'ombre à un tableau économique déjà peu reluisant, mais qui commençait à s'éclaircir après deux années de sanctions. Imposées en 2011 et en 2012 pour forcer l'Iran à négocier dans le dossier nucléaire, les sanctions, qui limitaient la vente du pétrole iranien, ont été allégées à la fin 2013. En moins de six mois, la production iranienne vouée à l'exportation a doublé, pour atteindre 1,4 million de barils par jour. Cette production reste bien au-deçà du niveau de production de 2011 qui s'élevait à 2,5 millions de barils par jour. Le faible prix du pétrole actuel fera très mal au gouvernement qui verra ainsi sa principale source de financement se tarir, dit le politologue Houchang Hassan-Yari, joint à Oman hier. «Le gouvernement ne pourra plus payer les subventions à la population et aura de la difficulté à payer des salaires. On risque de voir de plus en plus de manifestations.» M. Hassan-Yari croit que le prix du pétrole incitera l'Iran à faire progresser les négociations liées au nucléaire, en espérant faire tomber les sanctions restantes.



> Production de barils à l'exportation: 1,4 million de barils par jour (mi-2014*)

> Rang mondial des exportateurs: 3e à 6e*

> Prix du baril prévu au budget 2014: 131$

> Pourcentage des revenus liés au pétrole: 50 à 60%; 80% des exportations.

* Les sanctions imposées à l'Iran ont fait fluctuer les statistiques en moins d'un an

- Laura-Julie Perreault

Avantage Poutine

L'effondrement du prix du pétrole fait mal à l'économie russe: deuxième exportateur de pétrole du monde en importance, le pays faisait déjà face aux sanctions imposées par l'Europe et les États-Unis pour l'annexion de la Crimée et l'aventure militaire de Poutine dans l'est de l'Ukraine. La devise russe, le rouble, a perdu 40% de sa valeur cette année. Pour Maria Popova, professeure associée de sciences politiques à l'Université McGill, il est clair que ces nouvelles réalités, si elles devaient perdurer, auront des conséquences graves sur l'économie russe et la capacité du gouvernement à boucler son budget. «Or, d'un point de vue politique, il est facile de surestimer la vulnérabilité du régime de Vladimir Poutine aux fluctuations des prix du pétrole», dit-elle. Les appuis dont jouit Vladimir Poutine dans la population atteignent des sommets. Même les gens de la classe moyenne élevée et les gens éduqués, aux opinions progressistes et prodémocratiques, sont majoritairement de cet avis, dit-elle. « À court terme, le président a un capital politique énorme et peut facilement résister aux mauvaises nouvelles économiques comme la perte de revenus liés au pétrole.»

> Production de barils à l'exportation: 7,2 millions par jour

> Rang mondial des exportateurs: 2e

> Prix du baril prévu au budget 2014: 102$ le baril

> Pourcentage des revenus liés au pétrole: 45% du budget

- Nicolas Bérubé

Le réveil brutal du Venezuela

Les problèmes économiques du Venezuela étaient criants avant la chute du prix du baril de pétrole. Aujourd'hui, ils menacent la stabilité du gouvernement du président Nicolas Maduro. «Pour faire des profits, le Venezuela a besoin d'un baril de pétrole entre 100 et 120$, donc le double du prix d'aujourd'hui, explique Graciela Ducatenzeiler, spécialiste de l'Amérique latine et professeure au département de sciences politiques de l'Université de Montréal. Les conséquences sont énormes, car le pays dépend presque entièrement du pétrole, qui forme la quasi-totalité de ses exportations.» Devant la crise, le gouvernement a pris deux mesures: réduction des dépenses publiques et création d'une commission publique qui déterminera où couper davantage. Un exercice périlleux, dit Mme Ducatenzeiler. «En 2015, il y aura des élections législatives, donc le gouvernement ne veut pas faire de coupes importantes dans les revenus de ses partisans, dans les secteurs populaires.» Le pays n'a jamais profité de la richesse de l'extraction du pétrole pour diversifier son économie, dit Mme Ducatenzeiler. Les gouvernements « ont utilisé les revenus du pétrole à des fins clientélistes, sans chercher à créer une économie viable, indépendante de l'or noir. »

> Production de barils à l'exportation: 2,49 millions par jour.

> Rang mondial des exportateurs: 9e

> Prix du baril prévu au budget 2014: 118$ le baril

> Pourcentage des revenus liés au pétrole: 45% du budget.

- Nicolas Bérubé