Texte publié le 22 avril 2006 - L'ancien pompier Viktor Birkoun, aujourd'hui âgé de 56 ans, a failli mourir irradié le jour de l'accident. Nous l'avons rencontré à Labnia, près de Moscou.

Sur le chemin de la centrale, on se serait cru en enfer... Le ciel était rouge incandescent et la fumée était noire. Par terre, le sol était éclaboussé de béton et de graphite brûlant. Mon camion s'est coincé sur un amas et mes roues ont soulevé la poussière. J'ai senti un goût métallique dans ma bouche, un goût inconnu.

Après 30 minutes, je vomissais très fort. J'étais seul avec le camion coincé et je ne comprenais rien. J'ai vomi pendant des heures, comme si j'allais me vomir moi-même. Quand le chef m'a appelé à la radio, mes jambes ne répondaient plus. Mes amis ont tenté de m'emmener jusqu'au détecteur de radiations. Je n'ai jamais eu besoin de m'en approcher: dès que je me suis retrouvé dans l'embrasure de la porte, il s'est mis à sonner tellement j'étais radioactif.

Ils m'ont lavé avec des savons spéciaux et, après, je délirais. À l'hôpital, des seaux de médicaments étaient déposés à côté de mon lit. J'ai dû les boire et recevoir Dieu seul sait combien d'injections.

Nous n'avions pas le droit d'en parler: j'ai dû me cacher pour appeler ma femme et lui dire de s'enfermer avec notre fille.

Quand ils ont décidé de nous évacuer à Moscou, les jeunes étaient heureux à l'idée de partir. Moi, j'avais les larmes aux yeux: je me doutais que certains d'entre nous ne reviendraient jamais. L'autobus qui nous a conduits à l'aéroport a traversé des villages qui n'existent plus. C'était plein de gens en maillot, insouciants, qui nous envoyaient la main.

À Moscou, mes amis se sont mis à disparaître. Même l'infirmière qui nous accompagnait dans l'autobus est morte peu après.

Pourtant, les scientifiques se vantaient d'une sûreté absolue. Ils nous apprenaient seulement à éteindre les flammes.

Un jour, j'avais demandé quoi faire en cas d'explosion. Ils avaient répondu que le réacteur était garanti à 150 %. C'est pour ça que nous n'avions apporté ni bottes, ni gants, ni masques: tout est resté dans nos vestiaires.

Un mois après l'accident, Sergei Masleeva a survolé la zone en hélicoptère pendant huit jours pour permettre aux experts de mesurer les radiations. Le Moscovite de 48 ans nous a raconté ce qu'il a vu.

Du haut des airs, j'avais l'impression que la région avait été frappée par un météorite. C'était la désolation à perte de vue. Du sable partout. Des kilomètres carrés de terre arrachée et enroulée sur elle-même. Et la forêt était rouge.

À basse altitude, je voyais des petites maisons aux rideaux tirés pour toujours: les gens avaient été évacués en pleine nuit.

Des travailleurs habillés en extraterrestres aspergeaient les lieux d'agent chimique. Des soldats arrachaient tout dans les potagers. Dans les bois, ils trouvaient des fraises beaucoup plus grosses que la normale.

Sinon, il n'y avait aucun être humain à la ronde... Les vaches, les moutons et les poules couraient partout en liberté. Il y avait beaucoup de choses inhabituelles: un renard couché dans le poulailler; des élans qui mangeaient dans l'auge des vaches...

Quand les animaux domestiques entendaient les hélicoptères, ils nous suivaient. Ils s'ennuyaient des humains... Après mon passage, des commandos les ont tués. Les animaux venaient à leur rencontre et ils les abattaient. Leurs cadavres ont pourri au soleil.