La fonte des glaciers du Groenland et de l'Antarctique n'aura pas un effet que sur le niveau de la mer, selon une étude publiée dans Nature par une chercheuse de McGill. Elle va perturber la circulation océanique mondiale, ce qui paradoxalement pourrait entraîner des hivers plus froids en Europe du Nord et des coups de chaleur au Québec. Nos explications.

Boucle océanique

Paris est à une latitude un peu plus nordique que Montréal, mais les hivers sont beaucoup plus cléments dans la Ville Lumière. C'est grâce à une boucle océanique appelée circulation méridienne de retournement atlantique (AMOC, selon l'acronyme anglais), le prolongement du Gulf Stream. L'AMOC sera affectée, avec une diminution de 15 % de son débit, par la fonte des glaciers du Groenland, selon Natalya Gomez, géophysicienne à l'Université McGill, qui cosigne l'étude publiée hier dans la revue Nature.

« Le nord-ouest de l'Europe va se refroidir et l'est du Canada va se réchauffer », dit Mme Gomez. Donc finis les vortex polaires comme celui qui a frigorifié la métropole la semaine dernière ? « Non. En même temps, il va y avoir plus d'extrêmes climatiques, en froid ou en chaud. » L'analyse de Nature est basée sur une série de simulations climatiques et des données satellites sur la fonte des glaciers.

Modèles

Les modèles climatiques actuels, utilisés pour prédire l'évolution du climat au XXIe siècle, ne tiennent pas compte de l'impact de la fonte des glaciers du Groenland et de l'Antarctique sur la température de l'air et de l'océan ainsi que sur les courants dans les sept mers de la Terre, selon Mme Gomez. « En Antarctique, la température de l'air et de l'eau ne change pas de la même manière à différentes altitudes et profondeurs. Ça a un impact sur les glaciers et les précipitations qui n'est pas encore intégré dans les modèles. » Un essai qui accompagne dans Nature l'étude de Mme Gomez et une autre portant précisément sur l'Antarctique notent que les modèles actuels ne sont pas assez précis sur le plan spatial pour tenir compte des rivières souterraines qui se forment sur les rives du Groenland et de l'Atlantique et minent encore davantage les glaciers.

Accélération

La hausse de la température des eaux entourant l'Antarctique découlant de la fonte des glaciers du continent n'est pas incluse dans les modèles actuels, selon Mme Gomez. « Ça veut dire que les glaciers vont fondre encore plus rapidement que prévu, particulièrement entre 2065 et 2075. » Un bon exemple de cette sous-estimation, selon la géophysicienne montréalaise : en décembre, une étude allemande a conclu que l'affaiblissement de l'AMOC augmentait paradoxalement la quantité d'eau chaude arrivant en profondeur sur les côtes du Groenland, puis remontant à la base des glaciers, ce qui les fragilise encore davantage. L'étude de Mme Gomez donne du poids à la thèse de l'« instabilité des falaises maritimes », qui fait l'hypothèse que lorsque la portion d'un glacier située sur la mer se brise, elle expose une falaise trop grande pour être stable, qui s'écroule rapidement dans la mer. Quelle est la prochaine étape dans ces recherches ? « Il faudrait aller au-delà de 2100 pour prévoir la fonte des glaciers. Ça limite beaucoup l'élaboration des modèles. »

Plancton et poisson

La hausse du niveau de la mer, le mercure à la baisse en France et les froids et chaleurs extrêmes au Québec ne sont pas les seules conséquences concrètes de cette nouvelle analyse pour nous. Diverses études ces dernières années lient l'abondance des stocks de certains poissons cruciaux pour les pêcheries aux cycles de l'AMOC. « Ça risque de s'accentuer avec les changements climatiques et l'affaiblissement de l'AMOC », explique Robin Faillettaz, biologiste de l'Université de Miami qui a publié en janvier dans la revue Science Advances une étude montrant que les variations de l'AMOC influençaient les migrations du thon atlantique. « Il y a probablement un lien avec les mouvements et l'abondance de plancton. » Se pourrait-il que l'effondrement des stocks de morue dans le golfe du Saint-Laurent voilà 25 ans soit dû au cycle de l'AMOC ou à sa modification à cause du réchauffement de la planète ? « Ça risque fort », répond M. Faillettaz.

Photo fournie par l'Université McGill

Natalya Gomez, géophysicienne à l'Université McGill