Filicide.

Fil, du latin filius (fils) et filia (fille), et le suffixe -cide, l’acte de tuer.

Filicide : quand un parent tue son enfant.

On a appris hier qu’un filicide est survenu dans Tétreaultville. Le drame est survenu dans une petite maison comme 100 autres dans ce quartier de l’est de Montréal, petite banlieue en ville.

Deux enfants, un garçon de 7 ans, une fille de 5 ans. Vraisemblablement poignardés par leur père.

PHOTO PATRICK SANFAÇON, LA PRESSE

Le père d’une jeune famille a tué son fils de 7 ans et sa fille de 5 ans avant de s’enlever la vie, mardi soir, dans Tétreaultville. L’escalier de la maison a été transformé en mémorial improvisé. Peluches, lampions, lettres et dessins recouvraient les marches, hier.

Horrore, c’est le mot latin pour horreur, qui vient d’horrere, frissonner. C’est le mot qui convient pour décrire tout ça.

La scène qui attendait les premiers répondants dépêchés rue Curatteau les a plus que fait frissonner. Ils sont traumatisés, rapporte-t-on.

Et il y a une couche d’horrore supplémentaire, insoutenable, à cette affaire : c’est la mère qui a découvert les trois corps. Ses deux enfants, poignardés. Et son ex, qui s’était donné la mort.

Tu lis ça, tu te dis que le monde est fou ; tu te mets à la place de cette pauvre mère et juste y penser – à se mettre à sa place –, ça fait plus que mal.

Tu te demandes, fuck, comment on se remet de ça ?

Aussi bien décrire l’intérieur d’un trou noir.

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Et le gars, lui ?

Qu’est-ce qui pousse un parent à faire ça ?

Je sais, il y a quelque chose d’obscène juste à essayer d’imaginer ce qui se passait dans la tête du père quand il est passé à l’acte.

Il ne mérite aucune… Je cherche le mot. Sympathie ?

Il ne s’agit pas de ça, il ne s’agit pas de sympathiser avec un meurtrier. Il s’agit d’essayer de comprendre, pour essayer d’éviter ces meurtres-là.

Il y a de la recherche là-dessus, sur les filicides. Cherchez dans Google Scholar, qui recense les études publiées, et rapidement, vous tomberez sur Filicide in the United States (2016), du psychiatre Phillip J. Resnick, un des experts de ce champ d’études particulier qu’est le filicide.

C’est lui, Resnick, qui a classifié les cinq grandes causes de filicide, en 1969, dans Child Murder by Parents : a psychiatric review of filicide.

Le filicide « altruiste », où le parent tue son enfant pour le « sauver » d’un péril, qui n’existe généralement que dans la tête du parent.

Le filicide commis en psychose.

Le filicide de l’enfant non désiré, qui vise généralement les nouveau-nés.

Le filicide par maltraitance ou négligence.

Le filicide par vengeance, pour faire souffrir l’autre parent.

On apprend toutes sortes de choses épouvantables dans Filicide in the United States. Par 100 000 habitants, il y a aux États-Unis près de trois fois plus de filicides qu’au Canada.

Plus l’enfant est jeune, plus le filicide a de probabilités d’être commis par la mère. Plus l’enfant est âgé, plus il a de risques de périr aux mains de son père.

Les mères tuent de façon plus « douce », si une telle chose est possible : par noyade, par intoxication au gaz d’échappement. Les pères ? Les pères utilisent des moyens plus directs : ils frappent, ils étranglent, ils poignardent.

Les pères qui tuent sont plus souvent dans un processus de séparation, plus enclins à avoir un problème d’alcool, de drogue.

Il existe aussi des études sur les filicides au Québec. Une des études les plus citées est Paternal Filicide in Québec, sur les filicides commis par des pères, étude publiée dans The Journal of the American Academy of Psychiatry and the Law (2005). Les auteurs ont décortiqué 77 filicides commis par 60 pères au Québec entre 1991 et 2001.

Les auteurs Dominique Bourget et Pierre Gagné nous apprennent que le filicide commis par les pères est un phénomène globalement mal compris, moins étudié que le filicide commis par une mère. Pères et mères, selon les études, selon les territoires, s’échangent la palme du parent qui tue le plus.

La plupart des pères (60 %) québécois qui ont commis un filicide entre 1991 et 2001 avaient des psychopathologies sévères. La moitié était en dépression majeure.

Des 60 pères tueurs, 54 % avaient eu des contacts avec autrui à propos de leurs problèmes : avec du personnel médical (15 %), avec la police (8 %), avec leur famille (12 %).

De ces 60 pères québécois qui ont tué leurs enfants entre 1991 et 2001, 40 % vivaient une séparation récente. Du nombre, trois filicides étaient classés sous la rubrique « vengeance » dans l’échelle de Resnick. Les trois faisaient suite à une séparation.

Une autre étude québécoise, Évolution dans le temps du filicide-suicide masculin au Québec, publiée dans L’Encéphale, se penche sur les 50 filicides (suivis du suicide du père) commis entre 1997 et 2012.

On y apprend que 60 % des filicides commis par des pères sont alors survenus dans un contexte de séparation ou de litige entourant la garde des enfants.

La jalousie est invoquée dans les motivations plus souvent quand le filicide était commis par un père (28 %) que par une mère (9 %).

Voilà.

C’est ce qu’on sait, statistiquement, sur les pères qui tuent.

***

Mais que sait-on du père qui a tué ses deux enfants, rue Curatteau ?

Qu’il avait été traité à l’hôpital pour tentative de suicide, qu’il était dépressif, qu’il vivait une séparation et qu’il était gravement intoxiqué quand la police s’est présentée au domicile familial, il y a quelque temps.

Bref, autant de facteurs qui sont présents dans la vie de beaucoup de pères qui tuent, selon l’étude Paternal Filicide in Québec

Mais ces facteurs sont répandus chez beaucoup de pères qui ne tueront jamais leurs enfants, rappellent les auteurs Bourget et Gagné.

Aussi bien dire que même en sachant que le père était séparé, qu’il était dépressif, qu’il avait été traité pour ça… On ne sait rien.

Le psychiatre Resnick, à propos du filicide par vengeance, résume bien la difficulté de dépister ceux qui, comme ce père de la rue Curatteau, vont passer à l’acte : « Il est difficile à prédire parce qu’il n’y a bien souvent pas d’avertissement… »

Je cite un passage terrible de l’étude du psychiatre Resnick, qui ne relève pas de l’observation clinique comme telle : « Un des événements les plus traumatisants pour un parent est que son enfant décède avant lui… »

Je lis ça, je pense à cette mère, encore. Peut-on conjuguer mère au passé ? Est-on mère pour toujours, même… Même après… Après ça ?

Horrore, frissons, encore.