Il y avait du monde à cette conférence de presse. Beaucoup de monde. On avait pris soin de choisir un lieu où, semble-t-il, le vélo est roi. On nous a dit que les étudiants de l’ETS étaient parmi les plus grands utilisateurs de vélo à Montréal.

Il y a d’abord eu une vidéo avec une musique gaie et des images qui faisaient rêver. Puis, des chiffres et des statistiques qui faisaient croire que nous étions les meilleurs au monde. Bref, toutes les conditions étaient réunies pour que l’on accueille avec des confettis la première phase du fameux Réseau Express Vélo, rebaptisé de manière plus sexy le REV.

Malheureusement, un gros malaise était palpable tout au long de cet événement. À un moment donné, la mairesse Valérie Plante, incapable de soutenir davantage le silence lourd qui régnait, a même dit : « J’aimerais ça qu’on s’applaudisse ! »

Sur le fond, ce plan est bien. Même si on n’a dévoilé que 5 axes sur les 17 prévus, c’est un pas de plus dans la bonne direction. La question de la sécurité des cyclistes a été rapidement mise de l’avant. Les réponses de la mairesse et de Marianne Giguère, la conseillère associée au développement durable et aux transports actifs au comité exécutif, m’ont plus ou moins rassuré.

La plupart des pistes cyclables qu’on s’apprête à ajouter afin de créer les premiers axes express seront de type « transitoire », c’est-à-dire qu’elles ne seront pas équipées d’une bordure. On a répondu aux journalistes qui posaient des questions sur le sujet que les pistes seraient unidirectionnelles et que ça ne devrait pas décourager les nouveaux utilisateurs.

Pour les leaders montréalais du vélo avec lesquels je me suis entretenu, il faut saluer ce plan, même s’il n’est pas parfait. 

On trouve notamment qu’il ne va pas assez vite (les cinq premiers axes seront terminés en 2021) et que pour gagner du temps, il faudrait investir beaucoup plus d’argent dans l’expansion du réseau cyclable de Montréal.

Ce plan a plusieurs qualités. Il va notamment réunir certains tronçons isolés, ces petits bouts de pistes dont je vous parlais la semaine dernière dans une chronique. Il va également (on l’espère) permettre aux cyclistes qui utilisent le vélo comme mode de transport quotidien de gagner du temps (une synchronisation des feux de circulation est prévue).

Et puis, sont arrivées des questions sur l’axe Saint-Denis. Comment allons-nous faire pour créer une piste cyclable de chaque côté de cette rue commerciale durement éprouvée ces dernières années sans éliminer des voies prévues pour la circulation ou le stationnement des voitures ?

C’est là qu’on a compris l’origine du malaise. C’est là qu’on a saisi l’ampleur du défi de faire de Montréal une ville de vélo. C’est là qu’on a réalisé que le débat sur la fameuse cohabitation vélo-voiture est loin d’être mort et qu’il n’est pas abordé de front comme il le devrait.

Aux journalistes qui demandaient comment on allait procéder, la mairesse a esquissé quelques explications. Tannée de voir qu’on revenait à la charge, Marianne Giguère a pris le micro pour dire qu’il était possible d’ajouter deux voies cyclables unidirectionnelles sur Saint-Denis, de conserver une voie de chaque côté pour le stationnement, mais qu’il faudrait sans doute éliminer une ou deux voies de circulation (il y en a présentement quatre).

De même qu’on ne fait pas d’omelettes sans casser des œufs, on ne fera pas le REV sans réduire l’espace pour la voiture. 

L’équation est facile à faire. On ne peut pas ajouter 184 km de pistes cyclables en les mettant sur des passerelles suspendues au-dessus de la ville.

Si on s’apprête à réduire considérablement l’espace pour les voitures à Montréal, il faut être capable de le dire. Pour le moment on tourne autour du pot. Sans vraiment attaquer le sujet de front avec les utilisateurs de voitures, on leur retire des places de stationnement à coup de placottoirs, de bandes cyclables et de terrasses. On élimine parfois des stationnements sans aucune raison.

L’effet qu’a cette stratégie est de frustrer les automobilistes. Difficile après cela de leur parler calmement d’environnement, d’avenir de la planète et de réduction des gaz à effet de serre. Ce qui manque à cette révolution est un dialogue clair et limpide.

Ce plan fait avancer les choses. Si on veut vraiment pouvoir dire que Montréal est une ville de vélo, il faut en arriver à revoir l’écosystème des moyens de locomotion. 

Mais pour parvenir à cet objectif, il faut nettoyer certaines choses, il faut faire preuve de franchise, il faut prendre le taureau par les cornes ou, si vous préférez, le vélo par les guidons.

Dans le contexte qui est le nôtre (il ne faut pas oublier que nous vivons dans une ville nordique et que ce n’est pas tout le monde qui accepterait d’enfourcher son vélo à - 20 ºC pour aller travailler), il faut sérieusement se demander jusqu’où on est prêt à aller collectivement pour contribuer à l’échelle de la planète. Et comment peut-on faire ça ? Pour le moment, c’est plutôt un dialogue de sourds qui règne à Montréal.

On ne sent pas cette vue d’ensemble, encore moins cette envie de cohabitation, ce désir de changer les choses. D’un côté, on a des cyclistes qui trouvent que les choses ne vont pas assez vite. Maudits chars ! Et de l’autre, on a des automobilistes qui restent campés sur leurs positions dans le confort blindé de leur véhicule. Maudits cyclistes !

Comment, selon sa réalité, peut-on se déplacer dans la ville ? Comment, selon ses moyens, peut-on sortir de la ville ? Comment, selon ses limites, doit-on fournir sa part d’efforts ? Finalement, comment, quand on ne peut pas être le citoyen parfait que l’on souhaiterait être, cesser de se sentir coupable ?

Montréal a fait des pas de géant ces dernières années pour emprunter un virage écologique. On sent toutefois en ce moment un blocage malsain et néfaste pour tout le monde. L’occasion est belle de crever l’abcès.

Je suis d’accord avec ceux qui disent qu’il faudrait dégager plus d’argent pour le projet du REV. Sauf que j’utiliserais une partie de cette somme pour créer une grosse campagne de relations publiques et de sensibilisation. Peut-être même une gigantesque thérapie de groupe. On en aurait grandement besoin.