C'était l'année de mes 5 ans, au beau milieu des années 60. Comme bien des familles québécoises, on «paquetait» en juillet le gros char énergivore (une Pontiac Parisienne chez nous) jusqu'à ce qu'on ait de la difficulté à fermer le coffre, sans oublier l'énorme cooler, et on prenait en famille la direction des «États», Wildwood pour être plus précis. À cette époque, la station balnéaire du sud du New Jersey était l'une des plus populaires auprès des familles de la classe moyenne.

Entre la construction de châteaux de sable le jour et les promenades sur le boardwalk le soir (Watch the car, please!), nous sommes allés un soir voir Mary Poppins, à l'affiche dans l'un des cinémas de la place. Je ne comprenais pas encore un traître mot d'anglais. D'ailleurs, mes parents nous avaient appris à dire, à mon grand frère (8 ans) et à moi, Sorry, I don't speak english, au cas où l'on s'adresserait directement à nous dans la langue de Shakespeare. Je trouvais ça amusant et savoureux. Ça ressemblait à «relish».

Ainsi, Mary Poppins a été le tout premier film que j'ai vu dans une salle de cinéma de ma vie. Je ne savais évidemment pas qu'il avait été cité 13 fois aux Oscars et encore moins qu'il en avait remporté 5. Contrairement à aujourd'hui, cela m'importait peu. Pas du tout, même.

Mais l'enchantement a été immédiat. Les chansons, les couleurs, les personnages qui évoluent dans un décor de dessin animé. Et puis elle, Mary Poppins. Avec sa fantaisie, sa magie, sa capacité à changer le monde d'un claquement de doigts. Et puis, elle vole! 

Mes parents m'ont longtemps raconté à quel point j'avais insisté à la sortie pour qu'ils m'achètent un parapluie, histoire de pouvoir m'élever dans le ciel comme elle. Mais les seuls en vente étaient tristes et ordinaires, bons seulement à se protéger de la grisaille quand elle nous tombe dessus. Attendez, un parapluie qui ne nous parle pas et qui ne nous permet pas de voler? Mais quel est l'intérêt? Franchement.

Nous sommes retournés voir Mary Poppins en français à notre retour chez nous, mais, sérieusement, ce n'était pas pareil. Ça m'a même semblé étrange à l'oreille. Je ne pourrais affirmer que la célèbre gouvernante est à la base de ma vocation de cinéphile, mais, déjà, les versions doublées, très peu pour moi.

Quand j'ai rencontré Rob Marshall la semaine dernière, il m'a raconté que son premier contact avec Mary Poppins a été similaire au mien et a eu lieu au même âge. «Il est certain que ce qu'on retient quand on voit un film comme celui-là en bas âge, c'est le sentiment qu'il nous a laissé. La magie, le merveilleux. J'ai ensuite revu ce film plusieurs fois au fil des ans - parce qu'il réunit tout ce que j'aime - et je peux dire que je l'ai dans le sang!»

Rob Marshall et moi sommes issus de la même génération. C'est dire que nous avons vécu notre enfance dans l'effervescence des années 60. Le monde était en mouvement, toujours prospère. Quand je lui ai demandé si un personnage comme Mary Poppins pouvait avoir le même impact sur les enfants d'aujourd'hui que sur ceux d'hier, le réalisateur de Mary Poppins Returns a répondu oui, sans aucune hésitation.

«Mary Poppins est encore plus pertinente aujourd'hui, dit-il. Le monde est maintenant tellement sombre qu'on a besoin de merveilleux et d'espoir. Les enfants y sont très sensibles. Et Mary nous permet à nous, adultes, de trouver en soi une sensibilité d'enfant qui permet de voir et comprendre le monde différemment. Cela n'est pas du tout une notion frivole pour moi, c'est vraiment profond. C'est comme une façon d'évoluer. C'est pourquoi je dis aujourd'hui que de tous les films que j'ai réalisés, Mary Poppins Returns est mon plus personnel.»

Quand nous nous sommes quittés, j'ai remercié Rob de ne pas avoir massacré mes souvenirs d'enfance. «Ouf! Je m'en serais vraiment voulu!»