Tout au début du documentaire Se battre comme des soldats, mourir comme des enfants, Roméo Dallaire raconte un cauchemar qui le hante depuis le génocide du Rwanda. Dans ce rêve, il fait face à un enfant-soldat armé jusqu'aux dents. L'enfant le tient en joue.

Le lieutenant général se demande comment agir: faut-il neutraliser le danger que représente cet enfant guerrier ou le sauver de sa vie d'enfer? Dans le rêve, l'enfant ouvre le feu avant que l'ancien militaire canadien n'ait trouvé une réponse.

Dans la vraie vie, Roméo Dallaire a décidé de tirer l'enfant-soldat du cauchemar. Et c'est ce combat que le film du réalisateur Patrick Reed - présenté en première au Québec demain soir - a documenté.

Depuis des années maintenant, le militaire à la retraite, jadis à la tête des troupes des Nations unies pendant le génocide rwandais, arpente la planète pour faire connaître la situation dans laquelle se retrouvent quelque 250 000 enfants-soldats, dont 40% de filles. Et pour mettre un frein à cette pratique qu'il qualifie de «péché».

Parler aux monstres

Pour faire avancer sa cause, l'ex-commandant canadien se rend dans les pays en guerre, tout comme il arpente les corridors des Nations unies à New York. Parfois il doit utiliser le jargon diplomatique, mais souvent, ce sont ses galons militaires qui parlent pour lui, notamment lorsqu'il fait face aux commandants rebelles qui recrutent des enfants par centaines pour mener leurs guerres sanglantes. «Quand je rencontre un de ces monstres, je le fais de commandant à commandant. J'essaie de les frapper dans leur orgueil, de leur faire comprendre que s'ils continuent à utiliser des enfants, ils ne méritent pas notre respect comme soldat», explique Roméo Dallaire, en entrevue téléphonique.

Dans le documentaire, on le voit en discussion directe avec un des commandants des rebelles Maï-Maï en République démocratique du Congo. Malgré toute l'information qu'il détient sur ses activités, Roméo Dallaire garde son sang-froid. «Disons que toutes les conversations avec ces gens-là n'ont pas été filmées, mais l'idée est d'utiliser mon lien personnel pour faire pression sur eux», explique M. Dallaire, qui combine ses emplois de sénateur et de militant humanitaire.

On ne voit pas non plus dans le documentaire les rencontres que l'ancien commandant a eues avec les Forces spéciales américaines qui traquent Joseph Kony, le chef de guerre ougandais qui est devenu le visage de l'exploitation des enfants soldats. «Pour l'instant, les Américains n'ont pas les outils nécessaires pour l'arrêter. C'est beau de le trouver, mais après, il faut pouvoir l'encercler, l'arrêter», note l'ancien militaire.

Prévenir plutôt que guérir

Lors de l'entretien avec La Presse, Roméo Dallaire se réjouissait des dernières avancées de son organisation, l'Initiative Enfants soldats, en Sierra Leone. Dans ce pays qui a été déchiré par une guerre civile de 1991 à 2002, plus de 10 000 enfants ont été transformés en machines à tuer. «Ça a pris sept ou huit ans pour que le pays évalue ses besoins, mais nous avons réussi à obtenir du président de la Sierra Leone (Ernest Bai Koroma) le mandat de réentraîner son armée et de développer un curriculum dans les écoles primaires. On ne travaillera pas sur la réhabilitation des enfants-soldats, mais on va plutôt tenter d'empêcher le recrutement», explique le lieutenant général.

M. Dallaire espère que l'initiative fera boule de neige. Il s'inquiète particulièrement de la situation au Mali, dans le voisinage direct de la Sierra Leone, où des enfants soldats ont été utilisés dans les récents combats.

À la caméra, Roméo Dallaire, 66 ans, concède qu'il ne verra peut-être pas de son vivant l'aboutissement de sa mission: faire disparaître ce qu'il appelle le «système d'arme de basse technologie le plus sophistiqué utilisé au combat aujourd'hui». Mais il compte y donner tout ce qui lui reste d'énergie.

Présenté par les Rencontres internationales du documentaire de Montréal, le film Se battre comme des soldats, mourir comme des enfants sera présenté dans sa version originale sous-titrée en français à 19h demain soir au cinéma Excentris en présence de Roméo Dallaire et du réalisateur Patrick Reed. Le film prendra l'affiche partout au Québec à compter du 7 juin.