«C'est la guerre». Sur les réseaux sociaux, Rafaël Ouellet, auteur et réalisateur du très beau film Camion (sept nominations aux Jutra), décrivait ainsi la tournure résolument antagoniste que tente de donner présentement un empire médiatique québécois à la discussion collective sur notre cinéma national. David contre Goliath. Bernard Émond contre James Bond. Régions contre métropole. Art contre commerce. Cinéastes contre cochons de «payeurs de taxes». Subventions «versus» box-office.

À force de vouloir tout opposer à grands coups de titres racoleurs, on en vient à donner l'impression que l'argent investi dans le cinéma (et dans les arts en général) n'est qu'un gaspillage honteux de fonds publics uniquement destiné à satisfaire l'ego d'une poignée d'enfants gâtés dont les états d'âme n'intéressent désormais personne.

Pour un peu, on réclamerait une commission d'enquête.

Or, la réalité est tout autre. Et beaucoup plus complexe. D'ailleurs, les résultats divulgués par la firme de sondage Léger Marketing cette semaine sont plutôt encourageants. Et viennent contredire dans les faits les préceptes d'une espèce de poutine idéologique pratiquement fabriquée de toutes pièces dans le but de «colorer» l'opinion publique. Et d'ensuite nourrir avec de faux débats les tribunes à sensation.

Quand 73% des sondés estiment que le cinéma québécois est de bonne qualité, et qu'à peine 10% d'entre eux affirment qu'il est «trop subventionné» (et 33% «pas assez»), il n'y a pas lieu de faire un plat avec une soi-disant «crise» dont la nature est proprement circonstancielle.

C'est dire que la frange de la population qui souscrit à cette idée que l'État ne devrait pas investir un seul sou dans le cinéma et abandonner plutôt le marché au gré de la liberté concurrentielle est infiniment minoritaire.

Sur plusieurs plateformes, leurs adeptes vocifèrent pourtant leur litanie dans des porte-voix. Ils utilisent aussi les réseaux sociaux pour apostropher vertement ces pauvres imbéciles - la vaste majorité des gens - qui croient que dans un pays comme le nôtre, un soutien de l'État est nécessaire pour l'épanouissement de la culture.

Dans un récent sondage commandé par Patrimoine Canada, ministère sous l'autorité d'un gouvernement qui, présentement, n'est pas exactement l'allié des artistes ni des sociétés publiques, on apprenait que seulement 3% des répondants estimaient que la culture ne devrait recevoir aucune aide de l'État. Et qu'à peine 9% des Canadiens suggèrent au gouvernement Harper de lui accorder «peu d'importance».

«On ne va pas au Jardin botanique en demandant: cette fleur-là rapporte combien? Une oeuvre en soi ne rapporte peut-être pas beaucoup, mais elle participe à la culture d'une nation dans son ensemble», a récemment déclaré l'acteur, cinéaste et chanteur Émile Proulx-Cloutier au magazine Coup de pouce.

Une année plus sombre

Si on prend les recettes aux guichets pour seule mesure du succès, l'année 2012 fut plus sombre. C'est indéniable.

Il faut quand même tenir compte de la réalité dans laquelle on vit. Qu'il se produise en notre territoire, qui compte près de huit millions d'habitants, plus d'une trentaine de longs métrages de fiction par an relève déjà de l'exploit. Perdue parmi les centaines de films qui prennent l'affiche sur nos écrans dans une année, cette faible masse critique québécoise prête évidemment flanc à de grandes fluctuations.

Quand L'empire Bo$$é génère des recettes de 150 000 dollars plutôt que les quelques millions espérés et attendus, il est certain que l'écart est beaucoup plus difficile à combler par la suite. Simple question mathématique.

Aux États-Unis, un désastre à la John Carter a finalement peu d'impact sur le rendement du cinéma hollywoodien, au bout du compte. Parce que 300 autres productions peuvent prendre le relais.

D'ailleurs, il faudrait bien faire remarquer à tous ceux pour qui le modèle hollywoodien constitue le seul gage de succès que nombre de produits prédigérés américains se plantent royalement au box-office. Et ce, malgré d'énormes investissements dans les campagnes de publicité. Pourtant, jamais ne verrons-nous là-bas les bonzes de l'industrie s'autoflageller et remettre en question tout leur système.

Dans ces circonstances, la campagne actuelle d'un groupe médiatique visant à discréditer au maximum le système de financement du cinéma québécois n'apparaît pas très sérieuse.

L'automne dernier, Le Devoir révélait en outre que Québecor cherche à obtenir un siège au conseil d'administration de la Société de développement des entreprises culturelles (SODEC), principal bailleur de fonds du cinéma québécois.

Si jamais cela se concrétisait, un précédent serait créé. Aucune entreprise privée n'a bénéficié d'un tel privilège jusqu'à maintenant.

Oui, la part de marché du cinéma québécois a chuté de moitié en 2012 pour tomber à son plus bas niveau depuis plus de 10 ans (4,8%). Personne ne s'en réjouit. Mais quand même, revenons-en.