The Master prend enfin l'affiche au Québec aujourd'hui. Dans ce nouveau film de Paul Thomas Anderson, sans contredit l'un des meilleurs de l'année, vous verrez deux performances exceptionnelles, gracieuseté de Philip Seymour Hoffman et Joaquin Phoenix.

Ce dernier, qui prête son talent à un personnage d'écorché vif, offre une composition remarquable après avoir pratiquement mis sa carrière en veilleuse pendant trois ans à cause du faux documentaire I'm Still There. Dans cet étrange home movie (tourné par son beau-frère Casey Affleck), l'acteur, qui avait annoncé sa retraite du cinéma pour se lancer dans le hip-hop, avait fait croire à un suicide professionnel étalé sur grand écran. Plusieurs n'y ont vu que du feu. Un être aussi fragile, qui exprime son mal-être à travers des rôles toujours plus intenses les uns que les autres, ne pouvait que frapper un mur un jour. Comme si le destin tragique était déjà tout tracé. Bien des gens ont eu ce mauvais pressentiment pour Joaquin Phoenix. Et l'ont encore.

Les journalistes ne peuvent évidemment prétendre connaître de façon intime les personnalités qu'ils interviewent. Ils n'ont accès qu'à des moments, privilégiés parfois, au cours desquels la plupart de leurs interlocuteurs sont parfaitement conscients de la nature promotionnelle de la rencontre. Surtout si celle-ci se déroule dans le cadre d'une journée de presse organisée par un grand studio américain.

Quand même, une personnalité se dessine au fil des ans. Et Phoenix n'a jamais triché à cet égard. Ses doutes, son inconfort, son malaise ont toujours transparu dans ses propos, son attitude. Si l'acteur est en pleine possession de ses moyens, la personnalité publique, elle, l'est beaucoup moins. À la Mostra de Venise, où il a obtenu un prix d'interprétation (partagé avec son partenaire Philip Seymour Hoffman), l'acteur n'a pratiquement répondu à aucune question. Et il a quitté la table au beau milieu de la conférence de presse pour ne jamais revenir. Quelques jours plus tard à Toronto, Phoenix était bien là. Nous l'avons croisé, nerveux et un peu agité, à la soirée de gala au Princess of Wales Theatre. Ce fut pourtant sa seule apparition publique. Interviews annulées, et absence remarquée à une conférence de presse où sa présence était pourtant annoncée. Visiblement, Joaquin Phoenix a du mal à composer avec cet aspect du métier.

Cela dit, son talent est si exceptionnel que bien des observateurs n'hésitent pas à comparer l'acteur à Marlon Brando. Même présence animale à l'écran, même façon de se jeter dans un rôle à corps perdu. Au TIFF, Paul Thomas Anderson racontait que pour la scène où «le maître» et son nouveau disciple se retrouvent voisins de cellule dans une prison, il avait laissé son acteur extérioriser sa rage intérieure. Sans filet.

«La scène avait été écrite de trois façons, avait expliqué l'auteur-cinéaste. La première stipulait que Joaquin pouvait laisser aller sa folie. Ce fut la première prise. On l'a gardée. Et nous n'en avons tourné aucune autre. Quand on assiste à ce genre de moment, on craint que l'acteur n'en sorte pas indemne, mais en même temps, on se sent privilégié de capter un tel instant de vérité.»

Cette anecdote de tournage fait furieusement penser à une fameuse scène de Série noire. Le regretté Alain Corneau avait souvent raconté que l'acteur principal de son film, mort il y a maintenant 30 ans, ne l'avait pas prévenu de ses intentions, sinon en s'assurant que la prise allait être bonne sur le plan technique. Pour faire écho aux frustrations de son personnage, le comédien s'est violemment frappé la tête sur le capot d'une voiture. Au point où la tôle en fut froissée.

D'une certaine façon, Joaquin Phoenix fait aussi beaucoup penser à Patrick Dewaere. En plus de Brando. Forcément, ça peut devenir un peu lourd à porter.

Deux bons coups de Cinémania

On connaîtra la programmation du Festival de films francophones Cinémania un peu plus tard, mais les annonces déjà faites sont pour le moins alléchantes. Très beaux coups de la direction d'avoir pu repêcher le magnifique film de Jacques Audiard De rouille et d'os en guise de film d'ouverture (le 1er novembre). Et L'homme qui rit de Jean-Pierre Améris, déjà présenté à la Mostra de Venise, a été choisi pour clôturer l'événement. Marc-André Grondin et Gérard Depardieu en sont les têtes d'affiche. Cela augure vraiment bien pour le reste.