Été chaud pour le cinéma québécois: avec des recettes supérieures à 6,5 millions de dollars, la comédie De père en flic est assurée de devenir l'un des trois films les plus populaires de l'histoire du cinéma québécois (aux côtés de Bon Cop, Bad Cop et de Séraphin, un homme et son péché). Ce succès est accompagné d'autres grandes sorties: J'ai tué ma mère, Dédé et Polytechnique. Après une descente en deçà des 10% de parts de marché depuis deux ans, 2009 pourrait être une année faste pour le cinéma québécois. L'analyste et expert du box-office Simon Beaudry, président de Cinéac, la firme qui compile les entrées des cinémas de la province, dévoile les ingrédients du succès du cinéma québécois.


Q: On a qualifié à plusieurs reprises d'exceptionnel le succès du film De père en flic. En quoi constitue-t-il une exception?


R: L'exception relève du fait que, normalement, lors d'un lancement sur un aussi grand nombre d'écrans (NDLR: plus de 120), les recettes diminuent de 20 à 25% dès la deuxième semaine. Dans le cas qui nous occupe, les recettes ont baissé de seulement 9% à la troisième semaine d'exploitation: c'est très peu.


Q: Qu'est-ce qui explique ce succès?


R: D'abord, c'est la réussite de la proposition: une comédie avec un volet dramatique. Ce mélange a bien fonctionné. Puis la qualité de la réalisation et du scénario, et le fait que les interprètes (NDLR: Louis-José Houde, Michel Côté et Rémy Girard, entre autres) sont en général tous bons.


Q: De père en flic a aussi bénéficié d'une campagne de mise en marché imposante.


R: En effet, mais cela ne garantit pas le succès populaire. Une bonne campagne promotionnelle ou publicitaire (NDLR: cela peut comprendre des premières dans sept, huit, 10 villes au Québec et la présence des comédiens dans des manifestations publiques, pour un coût de 500 000$ à 1 million) est organisée pour cinq à 10 films québécois chaque année. Ce qui fait la différence, c'est vraiment la qualité du film en tant que tel et sa réception critique.


Q: Le cinéma québécois a connu de grands succès depuis le début des années 2000: Bon Cop, Bad Cop, C.R.A.Z.Y., Séraphin, La grande séduction. Est-ce que ces films ont des points communs?


R: Pour une réussite au Québec, on doit vraiment viser les 7 à 77 ans. On a un très petit marché, donc une production plus pointue aura des difficultés à atteindre ce genre de recettes. C'est vrai pour toutes les formes d'art au Québec.

Q: Le Québec bénéficie-t-il d'un savoir-faire en matière de production cinématographique et de succès commercial?


R: Un des éléments forts de la cinématographie du Québec est l'expertise d'à peu près tous ses intervenants. Cela part bien entendu des créateurs, mais le reste de la chaîne est expérimentée, surtout les maisons de distribution, qui possèdent un savoir-faire unique en Amérique du Nord puisqu'elles ont généralement moins d'ampleur qu'aux États-Unis ou en France, mais que leurs dirigeants ont eu l'habitude de travailler avec un star-système quand ils importaient des titres européens dans les années 60 et 70. Lorsque les productions québécoises se sont améliorées sur le plan technique, dans les années 80, on savait faire de la mise en marché. L'explosion est arrivée au milieu des années 90 avec, entre autres, Les Boys, qui a pris l'affiche en 1997.


Q: Depuis deux ans, les parts de marché du cinéma québécois n'ont cessé de diminuer, repassant même sous la barre des 10%. La tendance va-t-elle s'inverser avec De père en flic?


R: Le succès du cinéma québécois fluctuera d'année en année pour une raison bien simple: le volume de production est très bas - seulement une vingtaine de longs métrages prennent l'affiche chaque année. Ce n'est pas assez pour garantir des parts de marché minimales. Le succès ou l'insuccès du cinéma québécois repose sur un très petit nombre de films: quatre ou cinq seulement. Comme on ne prévoit pas d'afflux massif d'argent, ni en provenance du Québec ni du côté d'Ottawa, il n'y a pas lieu de croire que le volume de production augmentera au cours des prochaines années.


Q: Le cinéma québécois a-t-il un marché naturel?


R: Le seul marché naturel, c'est le territoire québécois, qui n'est malheureusement pas assez populeux pour rentabiliser la production. À long terme, cela passe nécessairement par l'exportation. Le type de cinéma que l'on fait ici devrait être modifié pour plaire à un public international. Il y a un certain type de cinéma québécois, plus confidentiel, qui obtient un beau succès culturel dans les festivals à l'étranger. C'est le cas de Denis Côté, ça a été le cas de Xavier Dolan.


Q: On parle beaucoup de succès commercial des films québécois. Le succès au box-office est d'ailleurs encouragé par les institutions. Or, le succès commercial est-il souhaitable pour l'établissement d'une cinématographie nationale forte?


R: Le succès d'une cinématographie nationale passe par plusieurs éléments. Depuis une dizaine d'années, l'élément le plus important dont tiennent compte les organismes d'investissement est le succès commercial. À long terme, il est entendu que l'on devra trouver des moyens pour équilibrer les succès commerciaux et culturels québécois. Une cinématographie nationale ne repose pas seulement sur ses succès en salle, d'autant moins que notre marché national est vraiment trop petit pour rentabiliser notre production. Financièrement, c'est un cul-de-sac à moyen ou à long terme.