Depuis 20 ans, le cinéma de la réalisatrice danoise Susanne Bier sonde tous les recoins de l'âme humaine. In A Better World, qui vient de lui valoir l'Oscar du meilleur film en langue étrangère, explore la notion de vengeance et de pardon...

Non. Un Oscar, ça ne change pas le monde. Enfin, si. Un peu. Après 50 années de vie et une dizaine de films au compteur, Susanne Bier est montée sur la scène du Kodak Theater le 27 février afin de recevoir la précieuse statuette des mains de l'actrice Helen Mirren. Pendant que le Québec tout entier poussait un grand soupir de déception en assistant à la consécration d'un autre film qu'Incendies au grand bal hollywoodien, la cinéaste danoise, elle, tentait de garder les pieds bien sur terre.

«C'est vraiment un moment surréaliste, raconte Susanne Bier au cours d'une entrevue téléphonique que La Presse a pu obtenir en exclusivité. Le plus étrange, c'est que ça te frappe des jours plus tard, pas vraiment au moment où tu le reçois. Personnellement, je n'aurais jamais cru obtenir un Oscar un jour. Il s'agit de l'une de ces choses auxquelles on ne pense jamais tellement ça semble inaccessible. Je suis extrêmement fière de cet honneur. Mais cela ne change pas ma démarche. D'une certaine façon, je suis heureuse que cette reconnaissance arrive à ce moment-ci de ma vie et de ma carrière. Je n'ai qu'à m'en réjouir. Et à continuer à faire les films que j'ai envie de faire.»

Susanne Bier n'était pas en terre inconnue à Hollywood, cela dit. After the Wedding lui avait déjà valu une nomination dans la même catégorie il y a quatre ans. Son très beau film Brothers a fait l'objet d'un remake sous la direction de Jim Sheridan. Il y a quelques années, elle a aussi travaillé là-bas en dirigeant Halle Berry et Benicio Del Toro dans Things We Lost in the Fire, une production de Sam Mendes.

«Ce fut une très belle expérience, rappelle-t-elle. On m'avait évidemment mise en garde contre tous les périls qui attendent habituellement les cinéastes européens lorsqu'ils tournent un film aux États-Unis. Mais, très honnêtement, tout s'est bien passé pour moi. Cela dit, je suis arrivée là un peu comme une novice. La prochaine fois, je serai mieux en mesure de comprendre comment fonctionne une sortie de film dans le système américain; très différent du nôtre. Je saurai mieux comment aborder cet aspect des choses.»

S'intéresser aux gens

Jusqu'à maintenant, c'est quand même au Danemark que cette ancienne étudiante en architecture, qui a un jour pris conscience qu'elle s'intéressait davantage aux gens qui allaient habiter à l'intérieur des murs qu'elle dessinait, a réalisé ses films les plus marquants.

In A Better World, qui lui vaut maintenant une grande renommée mondiale, aborde les thèmes de la vengeance et du pardon.

«On ne peut pas expliquer vraiment d'où viennent les choses et pourquoi on les fait à tel ou tel moment dans une démarche artistique, fait-elle remarquer. Le fait est qu'avec Anders Thomas Jensen, qui a écrit le scénario du film, nous avions envie d'explorer le thème de la vengeance car il est très présent dans le discours public depuis une dizaine d'années. Il s'affiche partout. Dans les journaux, dans les bulletins d'information, dans les discours des politiciens, partout. Sans même que l'on s'en rende compte, la pulsion de vengeance s'est insidieusement infiltrée dans nos vies. Au point d'en devenir presque banale. Il me semble que ce sujet mérite qu'on en discute. Cela dit, je ne pouvais pas parler de vengeance sans évoquer évidemment le pardon et la compassion.»

Haevnen, le titre original du film, veut justement dire «vengeance» dans la langue danoise. L'histoire se déroule au sein de deux familles. La première est celle d'Elias, jeune garçon d'une douzaine d'années, souffre-douleur de tout le monde dans la cour d'école, dont le père, souvent absent et au bord du divorce, est médecin dans un camp de réfugiés en Afrique. Ce dernier tente d'ailleurs d'inculquer à son fils des valeurs pacifistes en lui suggérant de toujours tendre l'autre joue.

La seconde est celle de Christian, un autre gamin, orphelin récent de mère, qui se lie d'amitié avec Elias et prend sa défense. Les deux garçons se laisseront envahir par un désir de vengeance qui risque d'enflammer aussi le monde des adultes.

«On ne peut pas aborder ce thème-là de façon frivole, explique la réalisatrice. Or la notion de vengeance est traitée avec désinvolture à notre époque. Et souvent même encouragée. C'est assez préoccupant.»

Qualité de l'écriture

Malgré la petitesse de son marché, le cinéma danois parvient à tirer son épingle du jeu sur la scène internationale. Susanne Bier estime que la clé réside dans les efforts investis dans le talent des scénaristes.

«L'écriture est très valorisée chez nous, fait-elle remarquer. Cela provient de la tradition littéraire danoise et scandinave On mise beaucoup sur la qualité du scénario. C'est probablement l'aspect sur lequel on se concentre le plus dans les écoles de cinéma. J'ai aussi eu la chance de faire partie d'un groupe en ébullition. Les cinéastes de ma génération - parmi lesquels Lars Von Trier bien sûr - ont émergé pratiquement en même temps.»

Susanne Bier n'exclut pas les projets internationaux pour autant. Le mois prochain, elle commence le tournage de All You Need is Love, une comédie romantique («Si si!», dit-elle), écrite par le complice Anders Thomas Jensen, dont la tête d'affiche est Pierce Brosnan.

Il est aussi question qu'elle s'attaque un jour à un remake de Rapt, le film de Lucas Belvaux, mais rien n'est encore confirmé de ce côté.

«Pour l'instant, j'avoue que j'ai besoin d'un peu de légèreté!» conclut-elle.

In A Better World (Un monde meilleur en version française) prend l'affiche le 29 avril.