Bénéficiant déjà d'une rumeur favorable venue de Locarno, Monsieur Lazhar s'est fait voir au Festival de Toronto. Qui l'a adopté à son tour.

Quand on lui demande s'il a le sentiment de mettre aujourd'hui au monde son meilleur film, Philippe Falardeau n'ose évidemment pas répondre à la question. «J'aime les quatre longs métrages que j'ai réalisés jusqu'à maintenant, a-t-il confié, hier, au cours d'un entretien accordé à La Presse. Je dirai quand même que de tous mes films, Monsieur Lazhar apparaît le moins «désorganisé» à mes yeux. Il a assurément été le plus dur à réaliser sur le plan émotif, cela dit. Je ne m'étais jamais aventuré de façon aussi directe sur le territoire de l'émotion. Aujourd'hui, j'ai même encore un peu de mal à le voir!»

Lancé récemment au Festival de Locarno à la faveur d'une projection en plein air sur la Piazza Grande, à laquelle ont assisté plus de 6000 spectateurs, Monsieur Lazhar bénéficiait déjà d'une formidable rumeur. D'autant plus que le nouveau film du réalisateur de C'est pas moi je le jure! a obtenu là-bas le prix du public. On comprend maintenant pourquoi. Ce drame, inspiré de la pièce d'Evelyne de la Chenelière (conçue pour un seul personnage), se révèle en effet poignant, tout en maintenant toujours une belle finesse de ton. L'émotion est tangible, mais jamais appuyée. Et témoigne de l'élégance de l'auteur-cinéaste dans son approche.

Un drame a eu lieu dans une classe d'écoliers. Dont on préfère taire les circonstances afin de ne pas troubler les enfants. Mais le fantôme est là. Bien présent. Et Monsieur Lazhar (formidable Fellag), un professeur immigré ayant pris le relais de celle dont on pleure aujourd'hui la disparition, est bien résolu à faire crever l'abcès. Les codes régissant les interactions enseignants-élèves étant aujourd'hui très rigides, des signaux peuvent toutefois être mal interprétés parfois. Un geste tout innocent peut provoquer un drame. À travers la parole des enfants, l'auteur-cinéaste aborde des problématiques sociales bien réelles, sans porter de jugement. Son regard relève plutôt ici du constat. Falardeau ne le dira pas lui-même, mais, oui, Monsieur Lazhar est son meilleur film. À inscrire dans la lignée d'Être et avoir (Nicolas Philibert) et Entre les murs (Laurent Cantet).

«J'étais en train d'écrire le scénario de Monsieur Lazhar quand j'ai vu Entre les murs, rappelle en outre Philippe Falardeau. J'ai alors carrément songé à tout abandonner. J'avais le sentiment que le grand film sur l'école avait été fait. J'ai beaucoup réfléchi. Et j'ai fait mienne cette phrase de Vigneault: «Tout a été dit, mais pas par moi!». Et il est vrai que le thème de l'éducation est tellement important, tellement vaste, qu'on peut accrocher au passage plein d'autres sujets à caractère social. Comme les années scolaires sont cruciales dans nos vies, on touche forcément quelque chose de profond dans la psyché des gens quand on brasse des thèmes de cette nature.»

Mis au monde il y a 11 ans grâce au TIFF, où La moitié gauche du frigo avait alors obtenu le prix du meilleur premier film canadien, Philippe Falardeau conserve évidemment un lien privilégié avec le festival de la Ville reine.

«J'étais très désinvolte à l'époque, constate-t-il. Mon film avait été présenté dans la dernière partie du festival et tout le monde était déjà parti! Maintenant, je suis conscient qu'il y a un volet «affaires» très important. Même si cet aspect-là m'échappe un peu, j'ai quand même un travail à faire. Lors de la première projection publique de dimanche, je savais que des acheteurs étaient aussi dans la salle. Il est certain que j'ai soigné ma présentation afin que tout le monde soit dans de bonnes dispositions pour voir le film. Je me mets de la pression sur les épaules. La désinvolture a fait place à l'expérience, mais j'aimerais bien retrouver cette désinvolture des débuts.»

Monsieur Lazhar clôturera le Festival du nouveau cinéma de Montréal le 23 octobre et prendra l'affiche en salle au Québec cinq jours plus tard.

Une véritable mise à nu

Des neuf longs métrages québécois sélectionnés au TIFF, seulement trois sont présentés ici en première mondiale. Outre les deux documentaires Surviving Progress (Mathieu Roy et Harold Crooks) et Pink Ribbons, Inc. (Léa Pool), le premier long métrage d'Anne Émond Nuit # 1 est aussi lancé en primeur ici. Film à deux personnages (interprétés par Catherine de Léan et Dimitri Storoge), Nuit # 1 est un huis clos ayant pour point de départ une rencontre d'un soir on ne peut plus charnelle, montrée de façon très frontale, laquelle glissera progressivement vers une mise à nu psychologique encore plus intime. Frôlant parfois l'exercice de style, ce film impressionne néanmoins par la maîtrise - et le culot - qu'affiche Anne Émond dans sa réalisation, de même que par ses qualités d'écriture. Les deux interprètes modulent aussi parfaitement une partition où, malgré les apparences, les âmes sont encore plus dévoilées que les corps.