«Scandaliser est un droit, être scandalisé un plaisir»: ces mots de Pier Paolo Pasolini peu avant sa mort résument la vie de cet intellectuel engagé et subversif dont le dernier film d'Abel Ferrara, présenté jeudi à Venise, raconte les dernières heures.

Très attendu depuis le début de ce 71e festival de la cité lacustre, le film a toutefois été timidement applaudi à la fin de la séance réservée aux professionnels et aux journalistes, avant l'habituelle projection publique prévue en soirée.

Sans doute parce que, au moins sur le papier, l'association de trois maîtres dans l'art de la transgression - Pasolini, Ferrara et Willem Dafoe, qui campe un Pasolini très ressemblant - exhalait déjà des relents de soufre.

D'où un sentiment de «On s'attendait à pire» à la sortie du film, qui a tout de même réservé son lot d'inconvenances, montrant un Pasolini tel qu'en lui-même, dépravé mais lucide sur la décadence de son temps.

Homosexuel et marxiste, il a été poursuivi pour détournement de mineur, pornographie et actes obscènes en public tout au long de sa vie.

Mais le film, qui raconte les heures menant l'écrivain à sa mort dans la nuit du 1er au 2 novembre 1975, abandonne régulièrement le mode biographique pour des digressions sur le tournage - reconstitué par Ferrara - de Salo, ou les 120 jours de Sodome.

Dans ce film posthume (sorti en 1976), adapté de l'oeuvre du marquis de Sade, Pasolini raconte les orgies grotesques de quatre dignitaires de la République sociale italienne instaurée par Mussolini dans le nord de l'Italie en 1943.

Avant sa mort, Pasolini expliquait que le sexe n'était rien d'autre qu'une allégorie, la métaphore de la marchandisation des corps effectuée par le pouvoir.

Rien n'a changé

«Je pense que Pasolini aurait pu faire le même film aujourd'hui (...). Rien n'a changé», a déclaré Abel Ferrara, 53 ans, qui a gardé ses lunettes noires pendant la conférence la presse.

«Je suis bouddhiste et j'ai tendance à aller vers mes maîtres. Je ressens beaucoup son travail et je suis me approché de lui», a-t-il ajouté.

Willem Dafoe, habitué des rôles qui dérangent (Antichrist, Nymphomaniac), a dit s'être efforcé «d'habiter les pensées, les actes de Pasolini» pour ce rôle.

L'acteur est très crédible dans la peau d'un Pasolini moins pessimiste qu'on pourrait l'imaginer.

Son confrère italien Ninetto Davoli, qui a été l'ami et l'acteur fétiche de Pasolini et qui est aussi au générique du film, l'a confirmé: «C'était un homme qui aimait la vie. Beaucoup ont dit que Pier Paolo avait décrit sa mort dans son oeuvre, mais c'est faux».

Ninetto Davoli a aussi parlé de la société consumériste dénoncée par Pasolini à la fin de sa vie après avoir étudié le concept kantien de «Mal radical», qui réduit l'humanité en esclavage.

«C'est un mal qui a conduit l'Italie à ce qu'elle est aujourd'hui», a-t-il dit, déclenchant les applaudissements de la salle. «Posséder et détruire», c'est ce à quoi les institutions nous réduisent, dit Pasolini dans le film de Ferrara.

Le cinéaste américain, qui s'est attaché avec son scénariste Maurizio Braucci à reconstituer le plus fidèlement possible les dernières heures de l'auteur des Ragazzi di vita, le montre très aimant avec sa mère.

Mais il n'apporte pas d'éléments nouveaux sur les circonstances encore troubles de la mort de Pasolini, contrairement à qui avait pu être annoncé dans certains médias ces dernières semaines. «Eh les gars, qui parmi vous avait écrit cela?», a-t-il lancé aux journalistes.

Dans le film, Pasolini sort en voiture, à la recherche d'aventure, et finit par entraîner un jeune amant sur une plage d'Ostie, près de Rome. C'est alors que trois jeunes voyous apparaissent...