«C'est l'histoire de téléviseurs qui deviennent méchants et tuent tout le monde sur Terre». Dans Réalité, de Quentin Dupieux, Alain Chabat est Jason, un réalisateur qui tente de vendre un thriller de série B à un producteur nerveux et condescendant.

Celui-ci accepte de financer son film à une condition: les victimes des téléviseurs doivent pousser le meilleur cri de douleur de l'histoire du cinéma. «Je veux un Oscar pour ce cri», intime Bob le producteur. Jason a 48 heures pour trouver le gémissement ultime.

«Je me suis retrouvé dans cette situation, l'artiste en train d'essayer de vendre une idée un peu stupide à un producteur», raconte à l'AFP le cinéaste français venu présenter son dernier film au Festival du film de l'AFI, qui dure jusqu'à jeudi à Los Angeles.

Si le désopilant Réalité est déjanté, les précédents longs métrages de ce parisien de naissance l'étaient plus encore: Steak (2006), avec Éric et Ramzy, mettait en scène des accros de la chirurgie esthétique extrême, Rubber (2010) un pneu tueur, et Wrong Cops (2013) des flics pourris.

Réalité, sa satire de Hollywood et son univers absurde, a paradoxalement tout de suite plu aux producteurs et financiers, relate le scénariste-réalisateur-monteur de 40 ans.

«La présence d'Alain Chabat a sans doute beaucoup aidé», estime-t-il. Le film, dévoilé au festival de Venise, sort en France en février et vient d'être acheté par le distributeur IFC pour une sortie américaine.

«Alain Chabat, c'est mon héros. J'ai grandi avec les Nuls», l'émission satirique culte diffusée par Canal+ pendant cinq ans à partir de 1987, dont Chabat était l'un des créateurs, poursuit Dupieux à propos de son interprète. C'est d'ailleurs Canal+ qui coproduit le film.

Autour de Jason/Chabat évolue toute une galerie de personnages tous plus azimutés les uns que les autres: sa femme psychanalyste castratrice (Élodie Bouchez), une petite fille nommée Reality, qui a vu un sanglier avaler une cassette vidéo mais que personne ne croit, un présentateur télé qui vit une «crise d'eczéma intérieure», etc.

Les cauchemars et la réalité se rejoignent, avec en toile de fonds l'industrie du divertissement et la Cité des Anges, où Dupieux s'est installé il y a quelques années.

«J'aime la douceur de vivre ici, la nature, la lumière, c'est une ville très cinégénique», explique-t-il.

À Paris, «j'arrive moins à rêver. Ici, j'ai l'impression que j'ai le droit de faire des films tordus», ajoute ce barbu aux cheveux longs et au sourire ironique.

Rêve récurrent

«Quentin est quelqu'un qui filme l'Amérique de manière assez inédite, cette ville, son décor, le désert californien. J'aime beaucoup son univers, j'y adhère totalement», remarque pour sa part Élodie Bouchez, qui excelle dans ce rôle d'épouse-psy excédée.

L'actrice, lauréate de deux Césars et d'un prix d'interprétation à Cannes partagé avec Natacha Régnier pour La vie rêvée des anges, vue plus récemment dans Happy Few entre autres, avait déjà une expérience hollywoodienne à son actif avec un rôle dans les séries Alias et The L Word.

Dupieux, lui, s'est fait connaître il y a plus de 15 ans par le biais de la musique électronique sous le nom de Mr Oizo et notamment par l'intermédiaire du personnage de Flat Éric, une marionnette jaune aux yeux ronds qui battait le tempo qu'il mettait en scène dans des clips vidéo.

Le titre Flat Beat est devenu un succès en 1999. Dupieux continue d'ailleurs son parcours musical avec un nouveau disque de Mr Oizo qui sort dans quelques jours. Il travaille aussi aux États-Unis sur un projet de série télévisée encore embryonnaire.

Alors que Jason, dans Réalité, voit son pire cauchemar se réaliser, Quentin Dupieux raconte qu'il fait, lui, un rêve récurrent lorsqu'il tourne: «J'ai une superbe équipe, tout est prêt, et quand j'arrive sur le plateau je ne sais plus quoi filmer».

Les rêves, si présents dans son dernier long-métrage, sont pour lui une source d'inspiration: «Je m'en sers pour écrire mes films. J'aime m'allonger et tomber dans un demi-sommeil. Souvent, c'est là que je trouve de bonnes idées», conclut-il.