La liberté d'expression a ses limites quand on s'attaque aux puissants. L'auteur Alain Deneault et les éditions Écosociété l'ont appris à leurs dépens lorsque les minières Barrick Gold et Banro les ont poursuivis après la publication de Noir Canada. Entre 2008 et 2011, le réalisateur Julien Fréchette a suivi leurs péripéties judiciaires et l'impact dévastateur qu'elles ont eu. Son documentaire Le prix des mots suscite une réflexion sur ces questions, sans occulter le sujet à la base du livre: les actions parfois discutables des sociétés minières canadiennes dans le monde.

Le livre Noir Canada recensait les allégations d'observateurs internationaux concernant les abus supposés de dizaines de minières canadiennes. À la suite des poursuites de Barrick Gold et de Banro, le livre a été retiré des librairies. Le jeune réalisateur était loin de se douter que ce feuilleton judiciaire, qui a mené à l'adoption d'une loi québécoise pour «prévenir les poursuites-bâillons», allait devenir le seul sujet du Prix des mots. «C'était un cas parmi d'autres.» La disproportion des moyens, presque caricaturale, et le courage de leurs convictions manifesté par Alain Deneault et les éditions Écosociété l'ont convaincu d'y consacrer un film, qu'il a monté comme un suspense dramatique.

Combat judiciaire

On peut y voir David contre Goliath, bien sûr, mais le combat judiciaire relève tout autant, sinon plus, de Don Quichotte. «Il y avait un idéal dans leur lutte. Et, au moins, ça a fait avancer la jurisprudence. Sauf que les poursuites ont presque occulté le sujet principal [du livre]: les actions des sociétés minières, souligne celui qui se spécialise dans le documentaire d'auteur. C'est en voulant traiter de cet enjeu qu'ils ont été amenés dans l'arène judiciaire.»

Québec a ensuite voté une loi, en 2009. Elle «vise à contrer les abus de procédure [en justice] et non pas la question spécifique de la liberté d'expression, souligne le documentariste. Est-ce qu'on devrait baliser la liberté d'expression? C'est extrêmement difficile. On doit la concilier avec le droit à la réputation.» Et celui de poursuivre quand celle-ci est entachée.

À condition de ne pas utiliser un canon pour tuer une mouche. Les minières ont déployé tout l'arsenal juridique, «ce qui donne un peu froid dans le dos». Ce que «la juge a souligné comme apparaissant abusif et qu'elle voyait un peu comme une tentative d'intimidation envers les auteurs», explique Julien Fréchette d'un ton posé, mais le regard allumé derrière ses lunettes rondes.

Il aurait été facile pour le réalisateur de proposer un film militant. D'autant plus qu'après avoir partagé les déconvenues des acteurs de ce feuilleton, «il y a un lien qui s'est créé». L'expérience a laissé traces et cicatrices chez les protagonistes. Chez le cinéaste aussi. «Mais comme observateur, il faut savoir mettre une distance et laisser le spectateur tirer ses conclusions.»

L'expérience humaine, la pression

Le réalisateur précise qu'il n'a pas voulu non plus donner un traitement journalistique au film, pas plus que chercher la «vérité» avec un grand V. «Ce qui m'intéressait, c'était l'expérience humaine, la pression que ces gens subissaient.» Bien sûr, admet-il volontiers, «on raconte une histoire avec un point de vue». «Mais je ne voulais pas tomber dans le piège de présenter les choses de façon manichéenne ni prêter des intentions.»

Il n'a donc pas cherché à rencontrer les représentants des minières. Le témoignage du représentant de Barrick Gold à l'Assemblée nationale, dont de larges extraits sont inclus dans le film, lui apparaissait suffisamment éloquent. Il s'est plutôt attaché à suivre pas à pas Alain Deneault, qui agit en quelque sorte à titre de narrateur de ses déboires. L'auteur persiste à poursuivre le combat même s'il semble dépassé par les évènements.

«On ne peut pas empêcher les gens de percevoir ça comme une forme d'intimidation. Il y avait une apparence d'abus dans le processus. Au final, dans le jugement en rejet d'action, la juge souligne également que Barrick Gold, même après trois ans et demi de processus, n'était pas en mesure de faire la démonstration d'un dommage matériel. Surtout quand on réclame 6 millionset que les gens qu'on poursuit n'ont pas les moyens. C'est assez troublant.»