Vedette mécanique de Point limite zéro (Vanishing Point en version originale), un road movie pour le moins déjanté, de Mannix aussi, la Challenger a débarqué sur la planète automobile à un bien mauvais moment.

D'abord, ses concurrentes de GM (Camaro-Firebird) et Ford (Mustang) étaient déjà confortablement installées en tête du palmarès des ventes. Ensuite, le segment des pony cars manifestait déjà des signes de ralentissement. L'histoire est un éternel recommencement, non? La nouvelle Challenger débarque sur fond de crise pétrolière et est menacée de connaître le même sort que son illustre ancêtre, c'est-à-dire de disparaître à plus ou moins brève échéance.

Même si cette Dodge n'a pas le sens du timing, ne boudons pas notre bonheur tout de même de revoir cette ancienne gloire. Vêtue d'une robe aux accents délicieusement rétro, sa filiation avec la version originale saute aux yeux et au coeur. Au fait, vous la trouvez comment, la nouvelle Challenger? Plus musclée? Assurément. Mais plus massive surtout.

D'ailleurs, c'est la première impression qui s'en dégage une fois qu'on est installé aux commandes. Rien à voir avec la génération antérieure - celle de 1970, et non celle de 1978, époque où l'appellation Challenger était accolée à un insipide coupé produit par Mitsubishi.

Vous ne vous souvenez pas de la première? Alors voici un court comparatif, histoire de vous rafraîchir la mémoire. La première Challenger était plus courte (4870mm contre 5023), plus basse (1300mm contre 1449) et beaucoup plus légère (1416kg contre 1878). Qu'à cela ne tienne, la Challenger dégage force et dynamisme, même à l'arrêt. C'est surtout vrai pour la SRT-8, la plus méchante du groupe avec ses pneus de 21po et ses bandes adhésives. Les versions plus sages (V8 5,7 litres et V6 3,5 litres), qui seront assurément les plus diffusées, apparaîtront au cours de l'automne. Mais d'ici là, les premiers acheteurs canadiens auront déjà reçu les clés de la version SRT-8 500, produite en quantité limitée et vendue à prix unique (dans tous les sens du terme).

Histoire de limiter le risque financier d'une telle renaissance, la nouvelle Challenger puise - tout comme son ancêtre - à même le réservoir de pièces de la marque. C'est donc dire que ce coupé faussement rétro habille une plateforme sensiblement identique à celles des très actuelles berlines 300 et Charger, avec qui il partage par le fait même la même usine d'assemblage.

Inutile de se pencher en dessous pour voir, suffit d'ouvrir les lourdes portières pour avoir un indice du lien de parenté entre la Challenger et les deux berlines précitées. Le volant à quatre branches - pas très sportif - et les compteurs, le frein d'urgence au pied rappellent immédiatement les origines «familiales» de ce coupé qui, au premier coup d'oeil, n'a pour seule nouveauté que le démarrage par bouton-poussoir. Et c'est bien peu. Bien sûr, pour amuser le conducteur, la Challenger SRT-8 l'informe de son temps d'accélération, de la distance de freinage, de la vitesse atteinte au terme du quart de mille et des «G» encaissés en courbe. Dès lors, les cow-boys vont se lancer des défis, mais le porte-canette est, paraît-il, capable d'encaisser plus d'un G. Attention tout de même car une Challenger, ça chahute pas mal ses passagers. Les banquettes arrière sont moins confortables que les sièges très enveloppants réservés aux occupants d'en avant.

Quant au coffre, même s'il est modulable (le dossier de la banquette peut se rabattre en tout ou en partie), les contrariétés sont nombreuses: formes tourmentées de la surface de charge, faible hauteur et seuil de chargement élevé.

Si vous n'étiez pas de ce monde le jour où la première Challenger a vu le jour, sachez que son comportement routier était intimement lié à l'état de la chaussée. Autrement dit, tant que la route se montrait aussi lisse qu'une table de billard, le comportement de la Challenger devenait civilisé et fort acceptable. Par contre, aussitôt que la chaussée était truffée de nids-de-poule et d'autres imperfections du genre, l'essieu arrière rigide se trémoussait comme seul Elvis savait encore le faire à cette époque.

Rien de tout cela aux commandes de ce nouveau cru. Ce dernier ne danse plus sur les bosses ni ne sautille comme une groupie devant son idole. Plus civilisée, la Challenger ne vous oblige plus à traîner le numéro d'urgence de votre chiropraticien sous le pare-soleil. Mais comme toujours (ou presque), le choix de la livrée dicte le degré de sportivité de cette Dodge. Et la SRT-8 est ce que Dodge fait de plus extrême avec notamment ses éléments suspenseurs «sèchement» calibrés.

On s'excite

Le Challenger délivre 425 bons chevaux qui ne sont peut- être pas de concours, mais qui tirent fort du collier. Tout est là, dans ce bon gros moteur sans raffinement en fonte d'aluminium, ses deux soupapes par cylindre seulement et son unique arbre à cames central. Du basique, mais de l'instinct à revendre car, avec une boîte semi-automatique à cinq rapports (une boîte manuelle à six rapports sera proposée plus tard à l'automne), cette Dodge vous expédie à 100 km/h en un peu plus de cinq secondes et, si vous avez du courage ou de l'inconscience, jusqu'à 270 km/h puisque sa vitesse de pointe n'est pas limitée électroniquement.

Le V8 crache sa puissance avec force et retenue. Ça peut sembler contradictoire, et pourtant ce ne l'est pas. Explication: sous les 4000 tr/min, ce moteur, gorgé de couple, donne l'impression de sommeiller tant il est docile. Par contre, dès que l'aiguille du compte-tours pointe en direction du pare-brise, c'est une tout autre histoire. Ça pousse, mais pas longtemps, puisque la zone rouge se trouve 2250 tr/min plus loin.

Une Challenger peut se conduire, avec quelques assistances électroniques qui laissent tout de même se produire une amorce de glissade provoquée. Par temps pluvieux, il faudra se méfier.

Par temps sec, c'est un régal, car le contrôle dynamique, doublé ici d'un précieux pont autobloquant, permet d'édulcorer partiellement ou totalement ses interventions. Le premier stade est à réserver aux conducteurs avertis, qui pourront encore compter sur une intervention électronique si les choses virent mal. Le second est une affaire de pilote chevronné, même si les réactions de la Challenger sont franches et prévisibles.

À réserver donc au circuit où nous avons pu mesurer l'étendue des capacités de ce coupé. Les freins chauffent, la gomme brûle mais l'américaine forte de son couple permet de ne pas trop avoir à baratter le levier de la boîte semi-automatique - au demeurant lente - de gauche à droite.

Que sa consommation passe à plus de 20L/100km sur piste n'étonnera personne. Mais ce n'est guère mieux sur route. Avis de prévoir un budget de fonctionnement conséquent et de nombreux arrêts à la station-service, son réservoir ne contenant que 72 litres du précieux liquide.

La Challenger est prévisible dans ses réactions et autorise même une conduite coulée mais, malheureusement, ces aspects positifs sont partiellement gommés par la direction, qui communique avec une précision incertaine - surtout au centre - le travail des roues directrices et un freinage qui résiste difficilement à un usage sportif.

 

Les nostalgiques et les irréductibles de la conduite sportive à l'américaine trouveront réconfort au volant de ce bolide qui se charge de faire revivre des sensations du passé. Les autres éprouveront sans doute, comme moi, le désir d'avoir, avec elle, une aventure sans lendemain...