La télévision jeunesse québécoise continue de sombrer. Après VRAK, au tour de Yoopa de disparaître des ondes. L’heure est grave, nous confirment des acteurs du secteur télévisuel.

Lundi, Groupe TVA a révélé qu’il débranchait Yoopa, sa chaîne spécialisée pour les tout-petits. Elle sera remplacée par QUB radio, en version télé, à partir du jeudi 11 janvier 2024. Yoopa s’éteindra après 13 années d’existence.

Cette annonce survient un peu plus d’un mois après l’extinction d’une autre chaîne québécoise visant un jeune public, VRAK, disparue le 1er octobre.

Joint au téléphone, l’ancien vice-président des chaînes spécialisées du Groupe TVA et « père » de Yoopa, Denis Dubois, parle de « grande déception ». « C’est très, très triste. Ça me fait quelque chose pour notre télévision. Ça me fait aussi quelque chose pour notre télévision jeunesse, qui est malmenée, après VRAK… »

« C’est un autre coup dur, poursuit le spécialiste en développement, production et diffusion télévisuelle. J’espère que toutes ces nouvelles vont provoquer quelque chose, pour qu’on arrête d’en parler et qu’on passe à l’action. »

PHOTO HUGO-SÉBASTIEN AUBERT, ARCHIVES LA PRESSE

Denis Dubois était vice-président des chaînes spécialisées du Groupe TVA quand Yoopa est née, en 2010.

Selon la vice-présidente des contenus de Télé-Québec, Nadine Dufour, la situation est urgente. « Oui, il faut sonner l’alarme. Ce que nos enfants consomment comme produits culturels quand ils sont en bas âge va avoir un impact sur toute leur vie. […] Nos enfants doivent développer un attachement à notre culture, à notre langue. C’est fondamental. »

Loin d’être une surprise

La mort de Yoopa était prévisible. D’après les chiffres du CRTC, son nombre d’abonnés fléchissait depuis plusieurs années. La chaîne a terminé 2022 avec 340 500 abonnés, en baisse de 11,6 % par rapport à 2021. En 2018, ils étaient 558 000.

Ses revenus suivaient une tendance similaire.

L’actualité des derniers mois n’a pas aidé sa cause. Le 1er septembre, Bell Média a retiré Yoopa du guide horaire des clients de Télé Fibe. Il s’agissait d’une réponse à Vidéotron, propriété de Québecor, qui avait retiré VRAK et Z, deux chaînes appartenant à Bell Média, son éternel rival, des services Hélix et illico.

Pour Sébastien Charlton, coordonnateur aux opérations du Centre d’études sur les médias, cette guerre d’empires a porté un « coup dur » aux chances de survie de Yoopa.

Mais l’antenne connaissait des déboires bien avant d’être expulsée de l’offre de Bell Média. Les discussions entourant la fermeture de Yoopa étaient entamées depuis « un certain temps ».

« On savait que ça s’en venait », confirme Denis Dubois, qui a occupé les fonctions de vice-président des contenus originaux de Québecor jusqu’en mai dernier, avant de quitter l’entreprise.

Disney+ et compagnie blâmés

Yoopa est née au printemps 2010. Au départ, l’antenne s’adressait uniquement aux enfants de 2 à 6 ans. Elle proposait du contenu éducatif et divertissant par l’entremise d’émissions originales québécoises comme Théo, Les étoiles du dodo, L’académie secrète, Miam ! et Bam. La marque se déclinait également en magazine destiné aux parents, ainsi qu’en site internet.

PHOTO TIRÉE DE LA PAGE FACEBOOK DE YOOPA

Le numéro d’août-septembre 2014 du magazine Yoopa

« Je voulais aussi qu’on aille sur le terrain, raconte Denis Dubois. Je voulais qu’on organise un festival, des spectacles en tournée, mais ça n’est jamais arrivé. »

On n’a pas le choix de penser autrement notre façon de faire notre télévision.

Denis Dubois

Comme VRAK, Yoopa a subi des changements de programmation au fil des années. En 2019, un bloc de soirée baptisé YOO+, ciblant les préadolescents (10-12 ans), a intégré son horaire.

Groupe TVA a décliné notre demande d’entrevue. Dans un communiqué, l’entreprise invite les fidèles de Yoopa à s’abonner au Club illico pour « avoir accès à du contenu jeunesse et familial ». Elle explique également qu’étant donné « la concurrence accrue des plateformes étrangères en contenu jeunesse », elle devait « repositionner son offre télévisuelle en misant sur l’information et les affaires publiques ».

La montée des services de vidéo sur demande américains comme Netflix et Disney+ a certainement heurté les chaînes jeunesse québécoises, indique Nadine Dufour, de Télé-Québec, un diffuseur dont 42 % des titres ciblent les téléspectateurs de moins de 18 ans. « L’offre des géants étrangers est tellement grande… Leur arrivée a fragmenté toute l’écoute. C’est sûr que ça nous affecte. »

PHOTO FOURNIE PAR TÉLÉ-QUÉBEC

Nadine Dufour, vice-présidente des contenus de Télé-Québec

Le facteur pub

Les problèmes des chaînes jeunesse relancent également un vieux débat : celui entourant la publicité destinée aux enfants de moins de 13 ans, interdite au Québec. Cette loi nuit grandement aux stations jeunesse, observe Sébastien Charlton. « Ça rend les chaînes pour enfants plus vulnérables. Parce qu’avec la baisse des abonnements au câble, ce n’est pas avec la publicité qu’elles peuvent compenser. »

Pour Denis Dubois, il s’agit d’un facteur qui explique la fermeture de VRAK, mais pas celle de Yoopa, qui présentait des émissions sans pause publicitaire. « Il faut éviter d’exposer les enfants d’âge préscolaire aux publicités, parce qu’ils ne font pas encore la différence entre fiction et réalité », souligne l’homme de télévision.

Parlant de publicité, la version télévisuelle de QUB radio en diffusera assurément, ce qui devrait améliorer ses chances de survie. Côté programmation, Groupe TVA promet d’offrir du contenu « authentique » et « sans prétention ». L’entreprise présentera « de façon décontractée » les émissions que l’antenne numérique lancée en 2018 diffuse déjà, dont celles de Benoit Dutrizac, Richard Martineau, Mario Dumont, Yasmine Abdelfadel et Sophie Durocher.