Télé-Québec et Zone 3 ont pris les grands moyens pour rallier les enfants autour d’une émission québécoise. Grands comment ? Comme un écran géant de 38 mètres carrés.

L’aventure du Monde des mondes deviendra la première production jeunesse à employer la production virtuelle en temps réel l’hiver prochain, lorsqu’elle atterrira en ondes. Réunissant de jeunes comédiens autour de l’acteur Mani Soleymanlou, ce magazine destiné aux 4 à 7 ans marie segments d’apprentissage et blocs de fiction, lesquels viennent d’être tournés aux studios Grandé, dans l’arrondissement du Sud-Ouest à Montréal.

La Presse a visité le plateau d’enregistrement, et force est d’admettre que l’écran DEL de forme elliptique (dont l’installation a pris une semaine en septembre dernier) en jette visuellement. Un seul coup d’œil au mur lumineux d’une hauteur de 4,5 m et d’une largeur de 8,5 m suffit pour s’apercevoir qu’on est loin de l’habituel écran vert sur lequel on ajoute des images en postproduction.

Cet immense panneau virtuel, qui utilise la technologie Unreal, permet de réaliser des effets spéciaux hyperréalistes en temps réel. Durant notre passage, il plongeait les comédiens Anaïs Cadorette-Bonin et Raphaël Girard en plein cœur d’une luxuriante forêt boréale. Chaque fois qu’on regardait le moniteur du réalisateur Dominique Jacques (qui collabore avec les réalisatrices Maude Éthier-Boutet et Karine Ouellette), l’illusion était bluffante.

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Les comédiens Raphaël Girard et Anaïs Cadorette-Bonin

Rivaliser avec l’offre internationale

C’est pour être compétitif à l’étranger et corriger une situation qu’elle jugeait absurde que Véronique Dea, vice-présidente, innovation, stratégies d’affaires et partenariats chez Zone 3, la boîte de production derrière L’aventure du Monde des mondes, a voulu exploiter la technologie Unreal. Plusieurs superproductions hollywoodiennes ont employé cet outil de création 3D au cours des dernières années, dont The Mandalorian, cette populaire série de Disney+dérivée de Star Wars.

Je regardais le générique, et c’était rempli de Québécois. Et j’étais comme : « Pourquoi est-ce qu’on ne peut pas s’en servir, nous aussi ? Pourquoi est-ce qu’on n’a pas cette chance ? » J’étais un peu fâchée. Pourquoi les producteurs étrangers viennent tourner ici avec cette technologie, mais pas nous ?

Véronique Dea, vice-présidente, innovation, stratégies d’affaires et partenariats chez Zone 3

Réponse préliminaire rapide : c’est coûteux. Très coûteux. Les Américains peuvent se permettre de dépenser beaucoup d’argent. La réalité des secteurs télévisuel et cinématographique québécois est différente.

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La productrice de L’aventure du Monde des mondes, Véronique Dea

Des compromis

Désirant mener son projet à terme, Véronique Dea a formé une alliance avec Float4, une entreprise montréalaise spécialisée en conception et production d’expériences numériques immersives, et Grandé Studios.

Pour respecter les budgets alloués aux émissions québécoises, la productrice a trouvé plusieurs solutions de compromis. Côté main-d’œuvre, au lieu d’aligner une équipe de 40 personnes (comme les Américains), elle s’est contentée d’une équipe de 15 personnes. Pour l’équipement, elle a pris le plus petit forfait possible, laissant tomber certains panneaux lumineux onéreux et réduisant considérablement la taille de l’écran. « L’écran des Américains est huit fois plus grand », précise-t-elle.

Après un début de tournage difficile au cours duquel Véronique Dea a souvent remis en doute son plan (les heures supplémentaires ont failli faire exploser le budget), les choses sont rentrées dans l’ordre.

« On y arrive, mais à condition d’avoir un rythme effréné », reconnaît la productrice.

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Tournage d’une scène devant l’écran géant

L’actrice Anaïs Cadorette-Bonin peut témoigner du tempo soutenu des tournages. En entrevue, elle parle d’un marathon de cinq semaines. « C’est un rythme auquel on n’était pas habitués, mais ça s’est bien passé. Les délais étaient courts et stressants, mais il y avait un bel esprit d’équipe et beaucoup de bienveillance. »

Risques nécessaires

La télé jeunesse québécoise doit prendre des risques du genre et innover si elle veut capter l’attention des enfants, estime Véronique Dea, elle-même mère d’une fille de 5 ans.

« Je vois bien contre qui on rivalise… Le gouvernement donne des fonds pour qu’on exporte nos émissions, mais avec nos décors en carton, sérieusement, on n’y arrive pas. On affronte des shows hyper technologiques. Il faut qu’on soit up-to-date [à jour]. »

Selon Anaïs Cadorette-Bonin, L’aventure du Monde des mondes devrait « accrocher l’œil des enfants et même des parents ». « Visuellement, c’est magnifique, commente la comédienne. La première fois qu’on a tourné avec Unreal, c’était comme si j’avais été dans un jeu vidéo. C’est super stimulant pour nous, comme acteurs, parce qu’on n’a pas l’impression d’être en studio. La technologie crée vraiment un univers immersif. »