L’entente de principe pour stopper la grève des scénaristes hollywoodiens réjouit l’industrie du tournage au Québec. Mais attention. La partie est loin d’être gagnée.

Dimanche, la Writers Guild of America (WGA) a annoncé qu’elle avait conclu un accord avec l’Alliance des producteurs de cinéma et de télévision (AMPTP), qui représente les grands studios (Disney, Sony), les plateformes de visionnement en ligne (Netflix, Apple TV+, Prime Video) et l’ensemble des chaînes généralistes (ABC, CBS, FOX, NBC) aux États-Unis.

Il s’agit d’un des deux conflits de travail qui impliquent actuellement l’AMPTP, qui gère également le débrayage des acteurs depuis juillet. Cette double grève, qui paralyse la production de séries télé et de films américains sur toute la planète, explique en partie pourquoi le syndicat des techniciens québécois, l’AQTIS 514 IATSE, accueille la nouvelle du pacte des scénaristes avec un « optimisme prudent ».

PHOTO CHRIS PIZZELLO, ARCHIVES ASSOCIATED PRESS

Manifestation devant les studios d’Amazon en juillet dernier

« On est loin d’avoir la coupe aux lèvres, parce que l’entente doit être ratifiée par l’ensemble des membres, mais au moins, un joueur sur deux semble avoir trouvé un terrain d’entente », commente Christian Lemay, président du regroupement québécois. « J’ai remarqué la photo de l’équipe de négociations des auteurs dans Variety. Quand on dit qu’une image vaut mille mots. On voit des sourires. Ils ont l’air satisfaits. C’est bon signe. »

Au Bureau du cinéma et de la télévision du Québec (BCTQ), on parle d’« un pas dans la bonne direction ». Pour Christine Maestracci, présidente-directrice générale de l’agence de développement économique, il faudra user de patience jusqu’au règlement officiel des deux litiges. Et encore.

Même s’il y avait résolution demain matin, les choses vont prendre un certain temps. Du côté des plateaux, on parle de six à huit semaines avant qu’il y ait une réelle reprise. Du côté des effets visuels, ça devrait prendre six à huit mois, au minimum.

Christine Maestracci, présidente-directrice générale du Bureau du cinéma et de la télévision du Québec

Le Québec fortement touché

Cette double grève a durement touché le Québec. D’après les estimations du BCTQ, les dépenses directes liées aux tournages étrangers avoisineront les 40 millions de dollars en 2023, des résultats en chute libre par rapport à 2021 (470 millions) et 2022 (526 millions, incluant la superproduction de Transformers : Rise of the Beasts, hébergée à Montréal).

De plus, les 2400 entreprises qui desservent la production audiovisuelle étrangère et locale au Québec (studios, cantines, accessoiristes, costumiers…) ont beaucoup souffert. « Des entreprises ont fait des mises à pied », souligne Christine Maestracci.

[Des entreprises] ont dû prendre des mesures importantes pour assurer leur survie et leur permettre d’être prêtes pour l’éventuelle reprise.

Christine Maestracci, présidente-directrice générale du Bureau du cinéma et de la télévision du Québec

D’après Andrew Lapierre, vice-président et cofondateur des studios Grandé, qui accueillent chaque année plusieurs tournages étrangers à Montréal, la grève a contraint de nombreux techniciens à réorienter leur carrière. « Ils avaient trop de difficulté à boucler leurs fins de mois. C’est déplorable. »

Andrew Lapierre croit qu’aussitôt que l’entente des scénaristes sera ratifiée, la roue recommencera à tourner. « Les bureaux de production vont rouvrir, la construction des décors va reprendre… L’industrie va redémarrer. »

Parlant du possible redémarrage des tournages américains à Montréal et ailleurs, Christine Maestracci et Christian Lemay espèrent que Québec épaulera l’industrie audiovisuelle en accordant des incitatifs financiers pour attirer certaines productions. Les efforts de promotion doivent également être décuplés.

« D’abord et avant tout, le gouvernement doit croire en l’apport de l’industrie audiovisuelle, à titre de vecteur économique, à titre de croissance potentielle, souligne Christine Maestracci. Il faut s’affairer à combler l’écart qui s’est créé avec d’autres juridictions, au Canada, mais aussi ailleurs, qui a fait perdre au Québec sa place au sein du top 5 des destinations de choix pour venir effectuer des tournages. »

PHOTO HUGO-SÉBASTIEN AUBERT, ARCHIVES LA PRESSE

Christian Lemay, président de l’Association québécoise des techniciens et techniciennes de l’image et du son (AQTIS 514 IATSE)

Le gouvernement doit s’impliquer. Il doit participer au plan de relance. Comme l’industrie est pratiquement tombée à zéro, elle devrait subir un reset.

Christian Lemay, président de l’Association québécoise des techniciens et techniciennes de l’image et du son

« Tout le monde va repartir à égalité. Ça serait vraiment l’fun qu’on en profite pour mieux se positionner », ajoute Christian Lemay.

Un précédent « inspirant »

La Société des auteurs de radio, télévision et cinéma (SARTEC) voit d’un bon œil l’apparente résolution du conflit des scénaristes, qu’elle a suivi de près au cours des derniers mois.

Selon la présidente du regroupement, Chantal Cadieux, l’annonce d’une entente de principe laisse présager des gains du côté des auteurs par rapport aux redevances, aux conditions de travail, aux cachets ou encore aux balises pour encadrer l’intelligence artificielle. « Ça crée un précédent. C’est inspirant », déclare-t-elle en entrevue.

Au Québec, les pourparlers des scénaristes avec l’Association québécoise de la production médiatique (AQPM) sont toujours en cours, signale Chantal Cadieux. « Ça avance bien. On s’en va vers une entente. »

Retour des talk-shows

À court terme, la résolution du conflit des scénaristes devrait marquer le retour des talk-shows de fin de soirée aux États-Unis. Ces émissions pourraient reprendre dans « deux ou trois semaines », rapporte Variety. D’après la publication spécialisée, les animateurs Jimmy Kimmel, Jimmy Fallon, Stephen Colbert, Seth Meyers et John Oliver prévoiraient revenir en ondes au même moment, les lundis 2 octobre ou 9 octobre.

PHOTO STEFANI REYNOLDS, ARCHIVES AGENCE FRANCE-PRESSE

L’animateur Jimmy Fallon

L’entente de principe a également reçu le sceau d’approbation du président des États-Unis, Joe Biden. Dans un communiqué, le leader démocrate a salué les efforts des deux camps.

Biden a profité de l’occasion pour évoquer un autre important conflit de travail qui secoue l’économie américaine : celui des salariés grévistes du secteur automobile. « J’encourage l’ensemble des employeurs à garder en tête que tous les travailleurs méritent une juste part des profits auxquels leur ouvrage a contribué », a-t-il souligné.

L’histoire jusqu’ici

2 mai 2023

La Writers Guild of America (WGA) déclenche une grève. Les scénaristes demandent notamment des redevances pour l’exploitation des séries et films sur Netflix, Disney+ et l’ensemble des plateformes de diffusion en continu.

14 juillet 2023

Les acteurs hollywoodiens (SAG-AFTRA) entament également un débrayage. Ainsi, ils mettent sur pause tous les tournages de productions américaines non seulement aux États-Unis, mais aussi au Québec.

24 septembre 2023

La WGA annonce la conclusion d’une entente de principe au terme d’un blitz de négociations de cinq jours, auquel les patrons des grands studios ont participé. Les termes de l’accord demeurent inconnus.