Les séries québécoises ont longtemps présenté des personnages de pères sortis du même moule : les pères absents. Les temps ont changé. Tant socialement qu’au petit écran. En 2023, les fictions reflètent cette évolution et mettent en scène des figures paternelles variées qui évitent les clichés.

Prenons Francis (Alexandre Goyette) dans Six degrés. Photographe, mais surtout homme au foyer dévoué, il s’occupe d’aller chercher les enfants à l’école, d’organiser les lunchs, d’aider aux devoirs, etc. On est loin d’Émile Rousseau (Claude Léveillée) dans Scoop, de Marc Gagnon (Marc Messier) dans Lance et compte et d’Ovila Pronovost (Roy Dupuis) dans Les filles de Caleb.

« Le père absent, on l’a beaucoup vu, commente l’auteur Simon Boulerice. Moi, ce n’est pas ce que j’ai vécu. Mon père travaillait énormément, mais il était quand même présent pour moi et pour ma sœur. »

Six degrés n’est pas l’unique série de Simon Boulerice à mettre de l’avant une figure paternelle bienveillante. On en recense dans Chouchou, Martine à la plage et Géolocaliser l’amour. « On a beaucoup vu des pères colériques qui étaient dans une forme de toxicité. J’essaie de contourner ça. Je préfère écrire des pères qui sont pleins de considération pour leurs enfants. »

La paternité a tellement changé… C’est normal qu’on voie cette transformation dans notre télévision.

Simon Boulerice, auteur

Même écho chez Marc Robitaille, auteur des Moments parfaits, comédie dramatique qui tirera sa révérence à l’automne, après trois saisons. « Le rôle du père a changé depuis 30, 40 ans. On voit des personnages d’hommes beaucoup plus impliqués, qui sont plus groundés dans leur monde, moins aliénés. »

Les principales figures paternelles du téléroman de TVA illustrent parfaitement la variété offerte en 2023. On trouve Georges (Denis Bernard), le patriarche plutôt directif, impulsif et sanguin, Louis (Émile Proulx-Cloutier), l’aîné d’une grande sensibilité, et Alex (Gabriel Sabourin), le gendre posé et réfléchi qui prône la communication.

« Avant, on avait tendance à présenter le père comme un lovable loser [raté sympathique] ou juste un loser… Quelqu’un qui était toujours largué, déconnecté ou irresponsable. Je voulais m’éloigner de tout ça. »

Charge mentale

Bien qu’ils n’aient plus la cote, les pères carriéristes n’ont pas disparu des ondes pour autant. La présence de Léo MacDonald (Sébastien Delorme) dans Indéfendable en témoigne. L’avocat criminaliste consacre régulièrement trop d’heures au travail. Son comportement d’ergomane a bien failli saper son couple la saison dernière, lorsque Sara (Catherine Renaud) a menacé de plier bagage pour l’obliger à redéfinir ses priorités.

L’automne prochain, Léo s’efforcera de passer davantage de temps en famille, un défi qui s’avérera majeur, révèle Izabel Chevrier, autrice principale et créatrice du drame judiciaire de TVA.

C’est un enjeu très contemporain. Les hommes carriéristes peu impliqués à la maison ont toujours existé et existeront toujours. Ce qui a changé, ce sont les femmes. Aujourd’hui, elles ont aussi des carrières, elles ont aussi des vies. Elles ont besoin d’être épanouies. Ça force le couple à chercher un équilibre.

Izabel Chevrier, autrice

« La saison dernière, Sara était pas mal seule à gérer la famille, malgré le fait qu’elle travaille comme enseignante de littérature au cégep. C’est elle qui portait toute la charge mentale. En 2023, c’est un sujet qu’on ne peut pas vraiment éviter. »

L’œil du cyclone examine également ce concept, mais différemment, comédie oblige. Offerte sur l’Extra d’ICI Tou.tv et ICI Télé, cette production de KOTV brosse le portrait d’une mère célibataire de trois enfants complètement débordée, campée par Christine Beaulieu. Prénommé Jean-François, l’ex-conjoint de l’héroïne est interprété par Patrick Hivon.

« C’est un père qui n’a pas toujours ramassé la charge mentale, souligne Dominic Anctil, producteur au contenu et conseiller aux scénarios. Il fait de son mieux, il essaie d’être moderne et d’être proche de ses enfants. »

Dans L’œil du cyclone, Dominic Anctil voulait que Jean-François soit dépeint comme un homme multidimensionnel, et non comme « un pur imbécile ». En grande partie parce qu’il estime qu’on trouve bien assez de pères tarés et idiots en publicité.

« C’est toujours des incompétents, déplore le producteur. On n’avait pas envie d’un bonhomme d’une quarantaine d’années légèrement off. »

La détresse masculine

Bien qu’on sente dans plusieurs séries la volonté de redorer le blason des pères, leurs travers continuent d’être décortiqués dans d’autres, comme À cœur battant, la nouvelle offrande de Danielle Trottier (Unité 9) dont l’action gravite autour d’un organisme communautaire qui s’occupe des hommes violents.

L’autrice a rencontré plusieurs hommes et pères de famille avant d’amorcer l’écriture du drame qu’ICI Télé diffuse depuis janvier. Elle affirme avoir été surprise de découvrir « autant de détresse ».

Je n’avais pas prévu ça. Je pensais que j’allais rencontrer des hommes qui rejettent l’autorité, mais non. La grosse majorité était des hommes en détresse. Ils n’avaient aucune idée comment exprimer leurs émotions en mots. Alors, ils sortaient les poings.

Danielle Trottier, autrice

Ces entretiens ont marqué Danielle Trottier. Elle s’est inspirée d’eux pour imaginer une panoplie de personnages, dont Hervé Dubois, qui profitera d’un temps d’antenne accru l’automne prochain. Père de Gabrielle Laflamme (Ève Landry), ce détenu purge une peine de 25 ans pour avoir tué deux femmes, dont sa conjointe.

« C’est un homme qui souffre d’un trouble obsessif compulsif. Un homme qui a mené une vie exemplaire jusqu’au jour où tout a dérapé. »

« La détresse des hommes n’est pas moindre, signale Marc Robitaille. Elle existe toujours. On pourrait faire mille séries là-dessus. »

Quels pères fictifs vous ont marqué à la télé québécoise ?

Julien Larouche dans La nuit où Laurier Gaudreault s’est réveillé

PHOTO FOURNIE PAR CLUB ILLICO

La nuit où Laurier Gaudreault s’est réveillé

Interprété par Patrick Hivon

« Il y a une super belle scène de paternité, quand Julien amène sa fille présenter ses excuses à l’enfant qu’elle a insulté. J’ai trouvé ça beau de voir qu’il voulait bien faire les choses. Julien n’est pas toujours présent pour sa famille, mais dans cette situation précise, il agit en père. Parce qu’un père, ça doit aussi ramener son enfant dans le droit chemin. » – Simon Boulerice

Laurent Couture dans Fugueuse

PHOTO MARLÈNE GÉLINEAU-PAYETTE, FOURNIE PAR TVA

Laurent Couture (Claude Legault) dans Fugueuse

Interprété par Claude Legault

« C’est un père extraordinaire. Il m’a bouleversée. Il m’a émue. Sa famille vivait quelque chose d’extrêmement dramatique. Sa fille s’enfonçait. Elle refusait son aide. Mais il n’a jamais abandonné. Il était toujours présent pour elle. Il a tout fait pour qu’elle s’en sorte. Il n’a jamais baissé les bras, même quand c’était difficile. » – Izabel Chevrier

Yves Chamberland dans La Promesse

PHOTO FOURNIE PAR TVA

La promesse

Interprété par Germain Houde

« Il était capable de reconnaître qu’il était autant le père de Luc [Sébastien Delorme], son apprenti chocolatier, que d’Isabelle [Michèle Barbara Pelletier], sa fille aînée. Quand Yves a demandé l’aide médicale à mourir, c’est lui qui a consolé tout le monde. Il disait : “Le bonheur, je ne pars pas avec.” C’était un père hyper responsable. C’est un modèle exceptionnel. » – Danielle Trottier

Jean-Pierre dans Entre deux draps

PHOTO ÈVE-MAUDE TARDIF-CHAMPOUX, FOURNIE PAR NOOVO

Entre deux draps

Interprété par Martin Drainville

« C’est un père qui n’est pas capable de dire “je t’aime” à son fils. Un peu comme Popa dans La petite vie. Ce n’est pas le genre de question qu’ils se posent : “Est-ce qu’il faudrait que je dise à mon fils que je l’aime ?” C’est générationnel. Aujourd’hui, les jeunes pères disent plus ce qu’ils ressentent. » – Dominic Anctil

Louis-Paul Parent dans Les Parent

PHOTO IZABEL ZIMMER, FOURNIE PAR LE NOUVELLISTE

Les Parent

Interprété par Daniel Brière

« Ce qui me faisait beaucoup rire, c’était son espèce d’impuissance devant ses fils. J’aime voir des pères challengés comme ça. Il ne perdait pas toutes ses batailles contre ses gars. Il pouvait en gagner quelques-unes. Parce qu’il avait de l’esprit, du ressort. Il était capable de rebondir. Il n’était pas résigné. » – Marc Robitaille