Des jurés qui laissent leurs cellulaires sur une table pendant la journée, des candidats anonymes qui sont identifiés par un numéro… Non, nous ne sommes pas dans une salle du palais de justice en train d’assister à un procès, mais bien au Conservatoire de musique de Montréal lors d’une journée d’audition de l’OSM.

Par ce beau dimanche de septembre, nous avons rendez-vous avec Françoise Henri, directrice du personnel musicien à l’Orchestre symphonique de Montréal (OSM) et responsable des auditions. Nous entrons dans la salle de concert, déserte pendant l’heure du lunch : c’était la condition pour que des « étrangers » aient accès à ce lieu, et nous devrons repartir avant que les activités reprennent.

« What, des journalistes ? », dit en écarquillant les yeux ce qui semble être un des membres du jury, en voyant la photographe de La Presse déambuler avec ses appareils. C’est clair, on ne pourra pas s’attarder ici.

Tout est mis en œuvre pour assurer l’anonymat des musiciens qui auditionnent, comme c’est le cas dans la plupart des orchestres dans le monde. « Le milieu de la musique est en avance sur son temps, parce que ça fait longtemps que c’est comme ça », explique Françoise Henri.

Il y a non seulement un immense paravent qui bloque complètement la vue sur la scène à partir de la salle, mais même un tapis installé à partir des coulisses pour qu’on ne distingue pas un pas masculin d’un pas féminin lors de l’arrivée de la personne qui auditionne.

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Françoise Henri, directrice du personnel musicien à l’Orchestre symphonique de Montréal et responsable des auditions

Au lieu de se laisser guider par les yeux, on se laisse guider juste par le son et l’oreille. Ça enlève les connotations de genre ou d’apparence physique. On y tient, à cette neutralité, et les candidats aussi : ils savent qu’ils ne seront pas évalués pour autre chose que ce pour quoi ils auditionnent.

Françoise Henri, responsable des auditions

L’idée n’est pas d’entretenir le mystère, c’est plutôt une question de respect, nous explique la directrice principale du secteur artistique, Marianne Perron. Préparer une audition demande beaucoup de temps et d’investissement, la moindre des choses est de s’assurer que cela se passe dans l’ordre.

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Un immense paravent empêche les candidats de voir les jurés… et vice-versa.

« Ça peut aller parfois jusqu’à une centaine de personnes qui auditionnent. Nous sommes à la fois honorés et privilégiés que tant de gens aient comme rêve de rejoindre les rangs de l’OSM. Alors on essaie de créer un environnement dans lequel les candidats vont se sentir le plus à l’aise possible, au moment où ils doivent donner le meilleur d’eux-mêmes. »

Le déroulement des auditions

Le week-end de notre passage, le vendredi et le samedi avaient été consacrés à des auditions pour un poste de deuxième clarinette, justement parce qu’il y avait trop d’aspirants pour le faire en une seule journée – une quarantaine en tout. Le dimanche, c’était au tour du poste de premier hautbois, un des plus importants de l’orchestre. Une vingtaine de personnes étaient sur les rangs.

« Ça faisait 45 ans que c’était la même personne qui occupait ce poste », souligne Françoise Henri. Le moment était donc très important… des deux côtés du paravent !

Si on ne sait pas comment la journée se terminera, les auditions se déroulent toujours de la même manière : les musiciens se présentent par vagues lors du premier tour en matinée, et cinq jurés membres de l’orchestre les écoutent sans les voir. Il y a un vote sans consultation après chaque vague – les jurés ne peuvent communiquer entre eux, pour éviter qu’ils ne s’influencent. Les musiciens qui obtiennent trois votes et plus passent automatiquement au deuxième tour.

  • Les jurés sont installés très loin les uns des autres. Le vote est toujours secret et ils ne peuvent pas communiquer entre eux.

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    Les jurés sont installés très loin les uns des autres. Le vote est toujours secret et ils ne peuvent pas communiquer entre eux.

  • Les cellulaires des jurés passent la journée sur une table : ils n’ont pas le droit de communiquer avec l’extérieur.

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    Les cellulaires des jurés passent la journée sur une table : ils n’ont pas le droit de communiquer avec l’extérieur.

  • Les candidats sont identifiés par un numéro.

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    Les candidats sont identifiés par un numéro.

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En après-midi, les choses se corsent : il y a maintenant dix jurés dans la salle, dont le chef d’orchestre, qui n’était pas là le matin. Il y aura alors autant de tours que nécessaire, chaque fois avec un vote sans consultation. Il faut un minimum de six voix sur dix pour passer au tour suivant, mais il arrive parfois qu’au bout de la journée… personne ne soit choisi. « Il faut convaincre le jury de façon non équivoque. Plaire à dix personnes, c’est quand même ardu », souligne Françoise Henri.

Ce sont toujours les auditions nationales, réservées aux musiciens du Québec et du Canada, qui ont lieu en premier. Si le poste n’est pas pourvu, on se tournera alors vers les auditions à l’international. Le processus sera de nouveau lancé, avec des annonces dans les publications spécialisées. « Mais il n’est pas rare que des musiciens du national y participent de nouveau, ils ont le droit », souligne Marianne Perron.

En fait, il arrive régulièrement qu’un musicien participe plus d’une fois à une audition… jusqu’à finir par la remporter ! « C’est un autre des bons points pour que ce soit à l’aveugle, avance Marianne Perron. Les juges ne peuvent pas se dire en voyant le musicien : encore lui ! »

Contrôle

Lors des auditions, le rôle de Françoise Henri est d’accueillir et de guider les musiciens dans un des moments les plus stressants de leur vie. « Ce sont des postes très importants dans un orchestre reconnu internationalement, un haut lieu de la culture canadienne. C’est une étape importante de leur vie de musicien et c’est normal que ça génère du stress. » Elle compare d’ailleurs cette journée à une compétition aux Jeux olympiques.

Ce matin, il y avait une musicienne qui regardait justement la performance d’une gymnaste aux Jeux olympiques pour s’inspirer. Le parallèle est parfait. Nous, ce sont de petits muscles qui travaillent, mais c’est le même genre d’enchaînement de mouvements, de visualisation mentale. La ressemblance est frappante.

Françoise Henri

Violon solo associé depuis 15 ans à l’OSM, Olivier Thouin est souvent sollicité pour agir comme coach auprès des jeunes qui se préparent aux auditions.

« C’est un domaine de grande exigence et de pression. Non seulement extérieure, mais celle qu’on se met soi-même aussi », dit celui qui a passé son audition en 2008.

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Olivier Thouin

Pour chaque instrument, les musiciens doivent préparer des « traits » précis. « Des standards, qu’on veut réentendre, parce que ça démontre des aspects plus exigeants », explique le violoniste.

Mais au-delà de la maîtrise technique et du choix de tempo, la force mentale et la capacité de résister au stress font partie des choses à travailler, tout comme se préparer à jouer « devant un mur » ou anticiper une longue journée à attendre.

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On demande aux musiciens de se préparer à interpréter des extraits très précis.

Beaucoup de musiciens, explique Olivier Thouin, font de la programmation neurolinguistique, qui est « une manière de conditionner le cerveau à vivre des situations comme celles-là tout en gardant un certain calme ».

Ce qu’on désire, dans le fond, ça peut être de gagner l’audition, mais surtout d’être en paix avec soi-même. C’est comme une jeune athlète qui a eu une quatrième place et qui pleure de joie parce qu’elle ne s’attendait pas à ça. Il ne faut pas oublier que c’est une route.

Olivier Thouin, violon solo associé

Françoise Henri doit gérer des déceptions pendant toute la journée, mais le système de numéros, dit-elle, enlève un peu le côté « personnel » de la chose.

« Quand je fais les annonces pendant la journée, il y en a certains, je vois qu’ils le savaient. Il y en a d’autres qui pensaient passer et que ça ne marche pas. Tous les cas de figure sont difficiles. C’est pour ça qu’il ne faut pas faire juste une audition dans sa vie. Il faut en faire plusieurs. Parce que c’est là que tu améliores ta moyenne, et que peu à peu, tu performes mieux. »