Les relations tendues entre le chef et violoniste Alexandre Da Costa et ses musiciens ont mené à l’intervention d’un médiateur mandaté par le ministère du Travail. Un « Plan de réussite » a été signé par les parties en juin, mais des musiciens interrogés par La Presse craignent le lancement de la nouvelle saison.

« On a fait le tour des principaux problèmes qui minaient le climat de travail et on s’est entendus avec la direction de l’orchestre sur un plan de travail à appliquer pour la prochaine saison », nous a confirmé le président de la Guilde des musiciens et musiciennes du Québec, Luc Fortin.

Le syndicat qui représente les musiciens de l’Orchestre symphonique de Longueuil, devenu il y a deux mois l’Orchestre philharmonique du Québec, a eu des rencontres en mai et juin dernier avec le directeur général de l’orchestre, Jean-Marc Léveillé, ainsi qu’avec le chef et violoniste Alexandre Da Costa, dont la direction est contestée par plusieurs membres depuis sa nomination en 2019.

Depuis son accession au poste de directeur artistique, pas moins de 18 instrumentistes ont quitté l’orchestre, une véritable saignée pour cet ensemble symphonique qui compte une quarantaine de musiciens. Au cours des derniers mois, l’orchestre a d’ailleurs dû procéder à une vague d’embauches, un processus ralenti par la pandémie.

« On est en voie de pourvoir les 15 postes qui étaient encore vacants, nous dit Luc Fortin. Tous les postes seront pourvus d’ici au concert d’ouverture de la nouvelle saison, le 1er octobre. »

Des musiciens inquiets

Dans une enquête publiée le printemps dernier, le quotidien Le Devoir s’était entretenu avec une dizaine de musiciens qui avaient quitté l’orchestre ou qui songeaient à le quitter. En somme, ils reprochaient tous au chef Da Costa ses piètres compétences dans la direction d’orchestre, mais aussi le fait qu’il se mettait constamment de l’avant, comme musicien, au détriment des membres de l’ensemble. Enfin, ils déploraient tous le fait que l’orchestre s’éloignait du répertoire symphonique.

PHOTO MARCO CAMPANOZZI, ARCHIVES LA PRESSE

Le président de la Guilde des musiciens et musiciennes du Québec, Luc Fortin

« On a eu des discussions très franches avec M. Da Costa et la direction générale et ils étaient conscients qu’il y avait des choses à améliorer, nous a confié Luc Fortin. Personne n’a cherché à se défiler, donc j’ai bon espoir que les choses vont bien se passer pour la prochaine saison. »

Mais au moins trois musiciens de l’orchestre interrogés par La Presse – qui ont décidé de rester au sein de l’ensemble – ne partagent pas l’optimisme de M. Fortin.

On n’a pas l’impression d’avoir été entendus, mais on n’a pas le choix. Ce qui nous inquiète le plus, c’est que rien ne change. Quand on nous a présenté le « Plan de réussite », on nous a surtout parlé de la vision de la direction, pas vraiment des relations de travail.

Une musicienne de l’Orchestre philharmonique du Québec qui préfère nous parler sous le couvert de l’anonymat par crainte de représailles

Une autre musicienne craint que la rupture du lien de confiance entre les musiciens et le chef ne soit irréversible. « Quand on a changé le nom de l’orchestre, après la médiation, Jean-Marc Léveillé a fait une sortie dans les médias contre les musiciens comme quoi on faisait mal notre job, alors, malgré le « Plan de réussite », j’ai des doutes », dit-elle.

Les musiciens à qui La Presse a parlé soutiennent toujours qu’Alexandre Da Costa n’a pas les compétences pour diriger un orchestre. Il n’est pas non plus reconnu pour sa « bienveillance » vis-à-vis de ses musiciens, nous dit-on.

« Sa proposition artistique est valide, mais on se demande pourquoi la direction générale l’a acceptée au départ, nous dit une des musiciennes à qui nous avons parlé. Il aurait pu lancer son projet au lieu de venir détruire un ensemble qui existe déjà. On reconnaît son talent de musicien, mais quand M. Da Costa joue le rôle de violon solo alors qu’il y a déjà un violon solo dans l’orchestre, ça devient litigieux. »

Tout va bien, dit la direction générale

Les préoccupations des musiciens ont été colligées par les deux médiateurs intervenus auprès de l’ensemble musical.

Le rapport du médiateur, que La Presse a obtenu, mentionne entre autres qu’une « très grande majorité des musiciens » ont l’impression que « l’orchestre s’éloigne de sa mission symphonique ». Tandis que dans le « Plan de réussite », que La Presse a également consulté, les principaux objectifs sont de « rétablir la communication entre la direction et les musiciens » et encore de « soutenir la performance des musiciens dans le cadre de la mise en place de la vision de la direction artistique ».

Interrogé par La Presse, le directeur général de l’Orchestre philharmonique du Québec, Jean-Marc Léveillé, estime avoir rassuré les musiciens sur la question de la mission de l’orchestre.

« Ils avaient l’impression qu’on faisait de la pop, nous dit-il. Lors de notre concert d’ouverture de saison par exemple, on va jouer la Neuvième de Beethoven, mais entre les mouvements, on introduit des chants dans plusieurs langues. »

Ça fait partie de ce qu’Alexandre essaie d’amener dans cet orchestre, mais il a fallu l’expliquer et les musiciens l’ont très bien compris. Tout va bien maintenant.

Jean-Marc Léveillé, directeur général de l’Orchestre philharmonique du Québec

Le rapport du médiateur fait aussi état d’une « approche autoritaire et menaçante employée envers les personnes récalcitrantes » et le fait que « l’expression des divergences de points de vues entraîne des actions telles que l’exclusion d’engagement ou [des] rencontres à caractères disciplinaires ». Un élément confirmé par une musicienne qui dit avoir subi « des répercussions individuelles directes » pour avoir fait valoir ses droits inscrits dans la convention collective.

Jean-Marc Léveillé rejette cette critique. « Je l’ai entendue en médiation [l’approche autoritaire], répond-il, mais on n’a pas été capable de mettre un exemple sur la table. Après, il y a des musiciens qui n’ont pas respecté leur contrat. Ça, c’est autre chose, on ne fait qu’exercer notre droit de gérance. »

Quelles sont les autres doléances exprimées par les musiciens durant la médiation que la direction a retenues ?

« L’autre élément, c’est la direction d’Alexandre pendant qu’il joue de son instrument, poursuit Jean-Marc Léveillé. Ce n'est pas toujours facile, mais ils ont convenu de certains mécanismes de communication entre eux, avec des codes pour qu’ils se comprennent et, depuis, ça va très bien, même avec le violon solo. Alexandre est un très bon chef. Mais ceux qui ne veulent pas travailler avec M. Da Costa depuis le début ne seront jamais satisfaits. »

Retrait du financement de Longueuil

En changeant le nom de l’Orchestre symphonique de Longueuil au mois de juillet dernier – qui est devenu l’Orchestre philharmonique du Québec –, le tandem Léveillé-Da Costa a perdu le financement annuel récurrent d’environ 122 000 $ que l’orchestre recevait de la Ville.

« On a eu plusieurs rencontres avec la direction de l’orchestre pour comprendre sa vision, nous a confié la mairesse de Longueuil, Catherine Fournier. C’est un organisme culturel qui a envie de prendre de l’expansion, qui veut avoir une portée nationale plutôt que régionale, donc on ne voulait pas les freiner dans leur développement, mais il n’y aura plus de financement annuel. Par contre, il n’est pas exclu qu’on ait des ententes de service pour la tenue de certaines activités qui seront présentées sur notre territoire. »

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La mairesse de Longueuil, Catherine Fournier

Ce retrait n’inquiète pas Jean-Marc Léveillé, qui évoque la contribution de « plus grands partenaires ». Selon lui, la décision de changer le nom de l’orchestre a été précipitée par l’abandon du projet de construction d’une salle de concert sur la Rive-Sud. « Ce n’était pas idéal pour nous de jouer au Théâtre de la Ville, on perdait de l’argent. Quand le projet de salle a été abandonné, en 2020-2021, on a pensé à changer de nom. »

Aujourd’hui, le directeur général de l’Orchestre philharmonique du Québec estime que l’ensemble musical est en bonne posture. « Nous sommes passés de 9000 spectateurs par année à 32 000, nos musiciens jouent plus souvent, l’an dernier on a donné 52 concerts, on va repartir en Amérique du Sud le printemps prochain, donc j’envisage l’avenir de façon intéressante. »

Les discussions entre la direction de l’orchestre et la Guilde des musiciens sont loin d’être terminées. Outre les suivis du « Plan de réussite », qui seront faits au cours de la présente saison, les négociations entre les deux parties viennent de commencer en vue du renouvellement de la convention collective, échue le 31 août dernier.

L’histoire jusqu’ici

Janvier 2019 : Le violoniste Alexandre Da Costa est nommé directeur artistique de l’Orchestre symphonique de Longueuil. Il remplace Marc David.

Novembre 2022 : Un médiateur est nommé par le ministère du Travail à la demande de la direction de l’orchestre et du syndicat, qui déplore le départ de 18 musiciens.

Juin 2023 : Un « Plan de réussite » est signé entre la direction de l’orchestre et la Guilde des musiciens du Québec, qui représente les musiciens de cet ensemble musical.

Juillet 2023 : L’Orchestre symphonique de Longueuil change de nom et devient l’Orchestre philharmonique du Québec.