Trois jours après l’Orchestre symphonique de Montréal, c’était au tour de l’Orchestre Métropolitain d’inaugurer sa saison, samedi soir, à guichets fermés. Et pas avec n’importe quel programme. Nous avons eu droit à nul autre que celui qui sera présenté par l’ensemble et son chef au Carnegie Hall de New York le 6 mars prochain.

Un rodage, donc, mais un rodage de très haut niveau, notamment parce que la Symphonie n2 en ré majeur, opus 43, de Jean Sibelius était enregistrée sur le vif par Atma dans le cadre de l’intégrale en cours. Une opération qui demandera assurément des raccords, étant donné les accès de toux qui ont fusé des quatre coins de la Maison symphonique pendant le deuxième mouvement. Sans parler des applaudissements interrompus par Nézet-Séguin à la fin du même morceau.

Si on excepte la circulation quelque peu précaire de certains motifs entre les pupitres dans le troisième mouvement, la symphonie avait un degré de finition tout à fait enviable. Le chef de l’OM en saisit admirablement l’architecture, assurant le passage entre les nombreuses sections contrastantes d’une manière idéalement organique.

On goûte le premier mouvement, qui a bien le caractère d’un allegretto, mais aussi le suivant pour la rondeur du son de l’orchestre. Si le troisième mouvement (vivacissimo) avait parfois tendance à perdre l’impulsion initiale, exceptionnellement énergique (fallait-il ménager les musiciens ?), Nézet-Séguin nous a presque fait oublier les quelques longueurs du finale par son geste généreux et engagé.

Impressionnante maturité

L’autre héros de la soirée est bien sûr le pianiste montréalais Bruce Liu (grand gagnant du Concours Chopin en 2021), qui faisait ses débuts avec le Métropolitain. Il a repris le Concerto n2 en do mineur, opus 18, de Rachmaninov, qu’il avait joué plus tôt cet été avec le même chef et l’Orchestre de Philadelphie. C’est son collègue Tony Siqi Yun qui prendra toutefois sa place au Carnegie Hall l’hiver prochain avec l’OM.

À seulement 26 ans, Liu fait preuve d’une impressionnante maturité. On croirait voir un vieux routier à l’œuvre. Le chef et lui ont recours à des tempos en général assez lents, beaucoup plus, en tout cas, que ceux que pratiquait le compositeur lui-même avec Stokowski (un témoignage intéressant, mais qu’on doit éviter de prendre pour une référence indépassable).

PHOTO DOMINICK GRAVEL, LA PRESSE

Yannick Nézet-Séguin et le pianiste montréalais Bruce Liu

Cela s’entend dès le tout début, avec des accords bien sentis du pianiste, qui doit avoir une bonne patte puisqu’il n’arpège pas les dixièmes de la main gauche. L’ensemble du concerto avait un legato nourri et un sens du chant à faire rougir bien des chanteurs.

Liu évite les emportements intempestifs, préférant préparer les transitions, plutôt que nous les jeter au visage. S’il passe parfois près de franchir la subtile frontière entre romantisme et sentimentalisme (on pense au mouvement lent), un sens inné du contrôle a tôt fait de le ramener dans le droit chemin. Il manquait peut-être seulement d’un peu de folie dans le début (marqué scherzando) du dernier mouvement.

En rappel, Liu a offert un délicat Prélude en mi mineur, BWV 855, de Bach, arrangé et transposé en si mineur par Alexander Ziloti. Belle trouvaille, car ce dernier dirigeait l’orchestre lors de la création du Concerto n2 de son cousin Sergueï Rachmaninov !

Pâle figure

Comme c’est maintenant la tradition, l’OM a commencé sa saison avec une œuvre autochtone. Après la prestation honorable d’Elisapie l’an passé dans d’habiles arrangements de François Vallières, la création de cette année faisait pâle figure.

Controlled Burn a été écrit par la violoncelliste crie bispirituelle Cris Derksen. L’œuvre s’inspire des feux contrôlés jadis pratiqués par les Autochtones pour éviter les incendies de forêt. La musicienne, assise devant l’orchestre avec sa console et son violoncelle électrique (qu’on n’entendait à peu près pas), dialogue avec l’orchestre avec des effets assez convenus (bruits de goélands et d’explosions, coups d’archet sur l’instrument, mélodies hollywoodiennes aux cuivres…). Le public lui a réservé une ovation (comme il le fait dorénavant presque toujours). Il faudra voir comment l’œuvre sera reçue au Carnegie Hall.

Le concert est repris ce dimanche, 19 h 30, à l’église Sainte-Suzanne de Pierrefonds (à guichets fermés).