Alexandra Stréliski présente rien de moins que trois concerts d’affilée dans le bel écrin de l’amphithéâtre Fernand-Lindsay, à Joliette, depuis jeudi. Après la dernière représentation ce samedi, plus de 10 000 personnes auront assisté à ce spectacle à grand déploiement, dans la scénographie, mais surtout dans la puissance des émotions véhiculées. Lors de la première soirée, la pianiste et compositrice montréalaise a même réussi à faire arrêter la pluie.

À l’image de l’été, la fin de journée était incertaine jeudi et c’est sous un petit crachin que le public est arrivé peu à peu dans l’enceinte de l’amphithéâtre. Beaucoup étaient bien équipés et prêts à toutes les intempéries, avec leurs chaises, impers et parapluies : c’est que les places réservées sur la pelouse, contrairement au parterre composé de sièges, ne sont pas protégées par un toit.

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Un public prêt à toutes les intempéries

Il pleuvait fort lorsque Flore Laurentienne, qui assurait la première partie, est monté sur scène un peu après 19 h 30. Mathieu David Gagnon, qui est l’âme de ce projet, a souri en regardant l’impressionnante foule. « Merci d’être venus en grand nombre pour moi ! », s’est-il amusé entre deux pièces. Bien sûr, il n’était pas dupe : « Ce sera pas long, ne vous inquiétez pas, Alexandra s’en vient. »

En quelques morceaux qui ont créé une ambiance planante toute en textures et en évocations maritimes, Flore Laurentienne n’a cependant pas mis de temps à envoûter le public, qui lui a réservé un accueil plus que chaleureux.

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Flore Laurentienne assurait la première partie du spectacle.

« Je ne le connaissais pas, quelle trouvaille, il est tellement bon ! », s’est d’ailleurs exclamée Carole Freeman, rencontrée pendant la pause. Elle était installée sur sa petite chaise, avec sa fille Evelyne Freeman-Joncas et ses deux petits-enfants, les mignons jumeaux Henri et Anna.

« On est venus aujourd’hui de Montréal et de Saint-Lambert, explique Evelyne. On voulait montrer un spectacle de musique classique aux enfants, mais sur la pelouse pour qu’ils puissent bouger un peu. » Et la pluie, qui tombait sans discontinuer depuis le début de la soirée ? Pas un problème, a assuré Carole.

Ce sont des conditions exécrables pour certains, mais moi, je trouve que ça apporte tellement de poésie !

Carole Freeman

Derrière, deux amies, Audrey Desrosiers et Caroline Guimont, avaient aussi fait la route depuis Montréal pour assister au concert. « On est arrivées à 17 h ! explique Caroline. Audrey m’a motivée à faire cette sortie, partir de Montréal, avec le trafic, ce n’est pas simple… mais c’est super le fun. »

  • Il pleuvait beaucoup au début du spectacle d’Alexandra Stréliski.

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    Il pleuvait beaucoup au début du spectacle d’Alexandra Stréliski.

  • Johanne Duhamel et Bertrand Grégoire sont venus de Napierville pour assister au concert.

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    Johanne Duhamel et Bertrand Grégoire sont venus de Napierville pour assister au concert.

  • La pluie n’a pas arrêté les irréductibles.

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    La pluie n’a pas arrêté les irréductibles.

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Fan de Flore Laurentienne, Audrey Desrosiers a été agréablement surprise quand elle a appris en arrivant que c’était lui qui faisait la première partie. « J’ai fendu en deux ! C’est une intervention du Saint-Esprit… On est dans un amphithéâtre naturel, il pleut, les deux, ce sont des artistes que j’écoute, ça ne peut pas être plus parfait. »

Caroline renchérit. « La pluie ne nous arrête pas, c’est juste plus joli. Il y a juste la madame avec le parapluie rose, là, qui nous cache un peu. Pouvez-vous aller lui parler ? »

L’arrivée de la rock star

Pendant que les deux amies rigolaient, on les a laissées pour retourner bien à l’abri sous le toit de l’amphithéâtre. Peu de temps après, la vedette de la soirée est arrivée, simplement vêtue d’un costume blanc, traversant toute seule la grande scène d’un pas déterminé et accueillie comme une rock star – elle a fait d’ailleurs brièvement le signe rock’n’roll avant de s’asseoir au piano.

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Alexandra Stréliski a offert un spectacle très intense.

« Bon, c’est là qu’on pleure », a soupiré une dame assise près de la photographe de La Presse, alors que la pianiste venait à peine d’arriver. Ce mélange de ferveur et d’émotion à fleur de peau est à l’image de la soirée où le courant est passé de la scène au public, et vice-versa.

« Bonsoir, vous êtes toute une gang ! », a lancé la pianiste après avoir joué une première pièce, Un air de famille, qui figure sur son plus récent album, Néo-Romance.

Ça fait deux ans qu’on en parle, de faire un grand spectacle extérieur. Vous êtes crinqués d’être là sous la pluie à écouter du piano. Je vous aime, c’est incroyable, ce qui m’arrive.

Alexandra Stréliski

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Après la pluie

Quelques pièces plus tard, après la finale grandiose de Burnout fugue, une pièce majeure qui figure sur son précédent album Inscape, Alexandra Stréliski a demandé au public si ç’avait été assez pour faire arrêter la pluie… et la réponse a été oui.

Pendant ce concert d’environ 1 h 30, la pianiste fait quelques interventions (assez drôles) et mises en contexte, mais présente peu ses pièces et ce n’est pas grave : on navigue entre celles de ses deux plus récents albums en se laissant porter par les ambiances, contemplatives ou tristes, mélancoliques ou joyeuses, remplies d’espoir ou tourmentées.

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Alexandra Stréliski était aussi accompagnée du duo de cordes Karski.

Elle est la plupart du temps en solo, délaisse parfois le piano à queue pour s’installer au piano droit, et est de temps en temps appuyée par le duo de cordes Karski, formé de deux musiciennes polonaises. Leur présence nuancée donne une touche de plus à la musique néo-romantique d’Alexandra Stréliski w et est parfois même absolument nécessaire, comme sur la si triste et si belle Élégie.

Scénographie réussie

Alexandra Stréliski reprend la tournée cet automne dans une version techniquement allégée de ce spectacle. Mais pour ceux qui sont présentés sur les grandes scènes comme à Joliette – salle Wilfrid-Pelletier à Montréal, Grand Théâtre de Québec, amphithéâtre Cogeco, entre autres –, la musicienne est entourée d’une imposante scénographie, créée par les concepteurs français du Cirque Le Roux.

L’espace autour et derrière la pianiste est habillé par deux immenses cadres où, en début de spectacle, est intégrée une œuvre séparée en deux parties – plus précisément Diane et Apollon perçant de leurs flèches les enfants de Niobé de Jacques-Louis David, qui est associé au courant néo-romantique. Les deux structures se transforment ensuite et sont déplacées d’un tableau à l’autre, deviennent des cubicules géants où jouent dans l’ombre ses accompagnatrices, les fenêtres d’un appartement, une forêt dense qui pousse vers la lumière.

  • La scénographie était assez imposante.

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    La scénographie était assez imposante.

  • Une scène très habitée, qui s’est dépouillée peu à peu.

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    Une scène très habitée, qui s’est dépouillée peu à peu.

  • La musicienne est passée du piano à queue au piano droit.

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    La musicienne est passée du piano à queue au piano droit.

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Si on a un reproche à faire, c’est peut-être le trop grand nombre de manipulations qu’impliquent ces déplacements multiples, et qui créent une distraction. D’ailleurs, plus le spectacle avance, plus on tend vers le dépouillement et plus on a l’impression d’être au cœur même de l’émotion. Une dernière séquence au piano droit, où la pianiste est seule devant un fond jaune puis rouge, sous un faisceau lumineux blanc, est tellement chargée qu’elle-même mettra un peu de temps avant de se lever de son banc.

Il y a quelque chose du don de soi dans ce parcours intime, mais aussi tourné vers les autres, livré avec classe et sans filtre. En fin de spectacle, Alexandra Stréliski offre même une nouvelle pièce de six minutes, « parce qu’il faut prendre des risques ».

Puis, au rappel, elle invite un jeune spectateur, Antoine, 10 ans, à venir jouer avec elle son grand succès Plus tôt, dans un moment touchant et plein d’empathie.

Le spectacle se termine avec Néo-Romance, « une petite chanson d’amour », parce que dans ce monde de tensions, ce qu’il nous reste, « c’est juste l’amour », croit la musicienne. « Même si c’est cliché de le dire. »

« Merci pour le cadeau, c’était vraiment beau », a glissé un papa à son fils adulte juste à côté de nous, alors qu’on quittait l’amphithéâtre dans une ambiance sereine. Il a mis la main sur son épaule et, dans la fraîcheur humide de cette fin de soirée du mois d’août, tout l’amour du monde s’est exprimé en un instant, grâce au pouvoir de la musique. Un pouvoir encore plus grand que celui de faire arrêter la pluie.

Consultez le site d’Alexandra Stréliski