Yannick Nézet-Séguin était de retour à la tête de l’Orchestre Métropolitain (OM), dimanche après-midi, pour la fin de saison de l’ensemble dans un programme original qui soulève certaines questions d’ordre programmatique.

Le chef à vie de l’OM, qui se produisait avec l’Orchestre philharmonique de Vienne pas plus tard que jeudi dernier, n’avait pas dirigé son ensemble montréalais depuis un peu plus de trois mois. Il ramenait avec lui une de ses solistes étoiles au Metropolitan Opera de New York, la remarquable soprano californienne Angel Blue, qui faisait ses débuts ici.

La chanteuse, qui est connue pour avoir multiplié les prix dans des concours de beauté au début des années 2000, a tout pour elle, en tout premier lieu une impressionnante voix de soprano lyrique qui s’affermit de plus en plus. Habituée de Mimi (La bohème) et Violetta (La Traviata), la quasi-quadragénaire suivra-t-elle les traces de son idole Leontyne Price ?

Dimanche, c’est toutefois pour chanter Barber qu’elle était à la Maison symphonique. Le concert, intitulé Exploratrices symphoniques, mettait en effet en valeur des œuvres écrites par ou sur des femmes, un programme de musique essentiellement états-unienne.

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La soprano Angel Blue

Vêtue d’une robe bleu azur, la soprano s’est installée, fait rare, derrière les premiers violons, du côté cour. Nous n’avons heureusement rien perdu de sa voix ni de son incarnation dramatique fine des deux pièces, Knoxville : Summer of 1915, sur un poème du romancier et critique de cinéma James Agee, souvent entendu au concert (notamment à la Virée classique l’été dernier), et l’air « Give me my robe, put on my crown » du troisième acte de l’opéra Antoine et Cléopâtre (sur le drame éponyme de Shakespeare), un air d’une bouleversante séduction où la souveraine égyptienne se donne la mort. Si la perfection est de ce monde, nous en avons entrevu un exemple dimanche.

Une des « exploratrices symphoniques » était bien d’ici, soit la compositrice Keiko Devaux, gagnante de nombreux prix dans les dernières années. Fut créée son œuvre [INAUDIBLE], inspirée des sous-titres pour malentendants aperçus au grand écran. Un titre inspiré d’une indication équivoque pointant, selon la principale intéressée, vers « le son de quelque chose que l’on ne peut pas entendre », faisant intervenir une mémoire souvent parcellaire.

Expertement écrite pour l’orchestre, la partition d’une dizaine de minutes fait s’enchaîner de longs accords maculés de frémissements, de glissandos de cordes et d’accords de cuivres répétitifs. Une œuvre qu’il faudrait idéalement réentendre pour en saisir toutes les subtilités.

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« Subtilité » n’est pas le premier mot qui vient en tête en entendant la Symphonie nᵒ 3 en do mineur de Florence Price, qui a néanmoins été défendue avec passion par le chef en seconde partie du concert. On pense plus à « sincérité » ou à « générosité ».

L’orchestration est souvent épaisse, notamment du fait de l’utilisation massive des cuivres, qui évoquent davantage le brass band que le raffinement d’un Ravel ou d’un Strauss, pour ne nommer que deux des meilleurs orchestrateurs de la même époque. Ou tout simplement d’un Barber, qui n’était pas le dernier venu en la matière, comme on a pu le constater en première partie.

La complexité polyphonique est également absente : l’Afro-Américaine enchaîne des mélodies d’un certain lyrisme qui finissent souvent par tourner en rond, avec des harmonies quelque peu stéréotypées. Il y a bien quelques moments où on se dit « Ah ! là il se passe quelque chose », mais ils sont rares et courts.

Gershwin a fait bien mieux dans le genre.

Il est loin d’être inconvenant de consacrer des enregistrements à Price, comme l’a d’ailleurs fait Nézet-Séguin chez Deutsche Grammophon. Car le disque permet – heureusement – d’étendre presque à l’infini le répertoire. Mais les impératifs d’une saison de concerts sont tout autres.

Après avoir donné la Symphonie nᵒ 1 en mi mineur à l’automne 2021, le chef reviendra jouer la Symphonie nᵒ 4 en ré mineur l’hiver prochain avec l’Orchestre de Philadelphie. Peut-on se permettre de programmer chaque saison une compositrice de troisième ordre (il faut bien appeler les choses par leur nom), alors que des symphonistes négligés, mais infiniment plus inventifs comme Vaughan Williams, Bax, Koechlin, Martinu, Tournemire ou Enescu sont boudés par nos institutions musicales ?