À 83 ans, le batteur Guy Thouin connaît un second souffle avec de jeunes musiciens de la scène jazz actuelle. Entrevue avec ce jeune de cœur.

À son âge, il pourrait résider dans un CHSLD, à ruminer ses vieux souvenirs.

C’est tout le contraire.

À 83 ans bien sonnés, le batteur Guy Thouin est toujours très actif et pas du tout porté sur le passé. Le concert qu’il donnera le 20 mai à Victoriaville, avec l’Ensemble Infini, en sera la preuve vivante et vibrante.

Guy Thouin ? On en voit qui se grattent la tête. Ce nom nous dit quelque chose, mais quoi ? Eh bien sachez, pour rappel, que le monsieur a été membre fondateur des groupes l’Infonie et le Quatuor de jazz libre du Québec (QJLQ) à la fin des années 1960, premiers jalons d’une carrière quasi ininterrompue, qui dure encore aujourd’hui.

Ma gang de l’époque… sont tous morts ou presque. Moi, je continue.

Guy Thouin

Assis dans la cuisine de sa maison du quartier Rosemont, ce pionnier du free jazz au Québec a l’œil allumé et les jambes fébriles. Il se lève. Descends à la cave. Remonte. Redescend. Interpelle sa compagne, Marie. Passe d’un sujet à l’autre. Son énergie surprend et force le respect.

Quand on lui demande comment il parvient à garder la forme, il hausse les épaules.

« Ce n’est pas difficile, répond-il. C’est génétique. Ma mère est morte à 104 ans, presque 105 ! Je marche. Je fais du vélo. Il faut juste faire attention de ne pas exagérer. Il faut se méfier des tendinites. »

PHOTO FOURNIE PAR GUY THOUIN

Guy Thouin avec Robert Charlebois, à l’Olympia de Paris, en 1969

Avec les jeunes

Batteur de Robert Charlebois pendant ses années les plus sauvages, y compris lors du cultissime Osstidsho et des performances mythiques à l’Olympia de Paris, Thouin a connu les grandes années de l’effervescence freak du Kébek avec un K.

Il a vécu en Inde au milieu des années 1970 « pour trouver le karma yoga » et apprendre l’art des tablas. Accompagné Raôul Duguay et Pauline Julien pendant leur période de gloire. Été un musicien de studio recherché. Puis de la scène « nouvel âge », avec d’autres trippeux portés, comme lui, sur la spiritualité et la philosophie indiennes.

Mais le free jazz a toujours fait partie de lui. Si bien qu’à la fin des années 1990, il a renoué avec ses premières amours en fondant le heArt Ensemble (qui connaîtra diverses incarnations), puis le Nouveau Jazz libre du Québec.

Depuis, c’est le jam ininterrompu. Depuis son sous-sol, où il a construit un local de répétition hyperinsonorisé, Guy Thouin multiplie les rencontres avec la crème de la nouvelle génération de musiciens jazz à Montréal, qui ont pour la plupart moins de la moitié de son âge.

PHOTO FOURNIE PAR GUY THOUIN

Guy Thouin juste avant son départ pour l’Inde, en janvier 1971

De l’Infonie à l’Infini

Ces collaborations, axées sur l’impro et le free, ont donné naissance à toutes sortes de projets originaux, qui lui ont permis de rester à la pointe et de conserver sa place au centre de la scène underground.

Du lot, on mentionnera le vinyle Lockdown, lancé ce printemps (avec le saxophoniste Aaron Leaney), les sessions From the Basement (avec entre autres le saxophoniste Félix-Antoine Hamel) dont les meilleurs moments sont régulièrement « postés » sur l’internet et, bien sûr, l’Ensemble Infini, qui se produira dans quelques jours au Festival international de musique actuelle de Victoriaville.

Voyez From the Basement Regardez la bande-annonce d’Aaron Leaney featuring Guy Thouin

Pour la petite histoire, cet orchestre de neuf musiciennes et musiciens (dont quatre sax ténors), coordonné par le guitariste et trompettiste Raphaël Foisy-Couture et dirigé par la saxophoniste Elyze Vennes-Deshaies, avait été monté à l’automne 2022 pour un concert hommage à l’Infonie, donné dans le cadre de la ressortie du film L’Infonie inachevée, tourné en 1974.

Pour le batteur, une belle façon de lier le passé au présent… tout en se questionnant sur l’avenir. « Je n’ai aucune idée d’où s’en va ce projet-là », lance-t-il, sourire en coin.

« Le off du off »

Peut-on parler d’un second souffle ? « Non, parce que je n’ai jamais arrêté », répond-il.

Si on entendait moins parler de lui, c’est peut-être, tout simplement, que sa musique est trop radicale pour atteindre le grand public. En presque 60 ans de carrière, cet émule du batteur fou Milford Graves a fait peu de concessions, en raison de son esprit foncièrement « contestataire » et de son « désir de liberté permanent » … quitte à rester dans la marge.

« Je suis le off du off », résume-t-il, lucide.

La bonne nouvelle, c’est que ça ne va pas en s’améliorant. Armé de sa surprenante vitalité et de sa batterie patentée à la main (dont une cymbale toute cassée datant des années 1960), Guy Thouin n’a aucune intention de s’adoucir et encore moins de se ramollir.

« Plus j’en fais, plus je suis exigeant, dit-il. Plus je vieillis, moins je fais de compromis. »

Ce n’est pas à 83 ans, en effet, qu’on commence à se conformer. Surtout quand on a un parcours comme le sien. Question de principe. Free un jour, free toujours…

Ensemble Infini, qui se produira au Festival international de musique actuelle de Victoriaville, le samedi 20 mai à 15 h, à la salle F. Lemaire.

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