En 1996, un an à peine après la sortie de son premier album, Blink-182 présente de nombreux spectacles au Québec. À l’approche de l’arrêt au Centre Bell, le vendredi 12 mai, du grand carrousel de Mark, Tom et Travis, retour sur une époque où l’idée que les gentils garnements du pop-punk puissent inscrire Drummondville à leur itinéraire n’avait rien d’une boutade.

Le 12 mars 1996, les membres du groupe montréalais My Big Wheel remplissent de leurs instruments la vannette que leur a prêtée un ami, direction Drummondville. S’ils avaient déjà joué dans la capitale de la poutine, Dominic Champagne, Frédéric Jérôme et Patrice Lefebvre n’y avaient jamais présenté un spectacle aussi important.

C’est pour nul autre que Blink-182 que le trio chauffe ce soir-là la salle St-Philippe. Prix des billets pour ce programme triple organisé par un jeune promoteur local : 12 $ à la porte, 10 $ en prévente. Quelques dollars de moins, donc, que ce qu’ont déboursé ceux et celles qui franchiront les tourniquets du Centre Bell, vendredi.

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Affiche du spectacle de Blink-182 à Drummondville, le 12 mars 1996

Blink-182 n’était certes pas encore le phénomène qu’il deviendrait en 1997 avec Dude Ranch, son deuxième album, encore moins le groupe punk le plus populaire de la planète, statut auquel lui permettrait d’accéder en 1999 Enema of the State, un disque qui s’écoulera à 15 millions d’exemplaires — et combien de téléchargements illégaux sur Napster ? — grâce aux irréfutables mélodies de What’s My Age Again ? et All the Small Things.

Mais le trio californien, composé en 1996 du bassiste et chanteur Mark Hoppus, du guitariste et chanteur Tom DeLonge et du batteur Scott Raynor, était déjà promis à de grandes choses. Une simple écoute de Cheshire Cat (1995), un premier album propulsé par des rythmes invraisemblablement rapides, suffisait pour s’en convaincre.

« C’est sûr que c’était super stressant », se souvient Frédéric Jérôme, bassiste de My Big Wheel, qui avait assisté aux prestations de Blink-182 au Centre Durocher de Québec et au Spectrum de Montréal, les 9 et 11 mars, durant le Sno Jam, un festival hivernal itinérant. À Drummondville, Mark Hoppus et Frédéric Jérôme fraterniseront au sujet de leur amour pour la Guerre des étoiles.

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Frédéric Jérôme sur scène avec son t-shirt de Blink-182

Je n’étais pas super bilingue à cette époque-là, mais on avait quand même pas mal parlé avec Mark et Tom. Scott, lui, était super gêné. Mark m’avait même demandé de le suivre dans leur Econoline blanche pour me montrer toute sa collection de cartes de Star Wars.

Frédéric Jérôme, bassiste de My Big Wheel

My Big Wheel échange à Drummondville trois de ses gaminets contre trois de Blink-182 et rentre à la maison avec son cachet le plus costaud en carrière, 1000 $, alors qu’une première partie ne rapportait parfois qu’un maigre 100 $. « C’est la sœur de Mark qui était leur roadie. Elle avait donné son numéro à notre roadie et nous avait dit : ‟Si vous venez en Californie, appelez-moi. » »

Le spectacle d’une vie

Dans la deuxième moitié de la décennie 1990, Drummondville accueille un nombre étonnant de groupes punk majeurs, comme No Use for a Name, Strung Out et The Vandals.

« Tout le monde arrêtait à Drummondville », lance le batteur des Trois Accords, Charles Dubreuil. Le 12 mars 1996, il assiste avec ses amis Simon Proulx et Pierre-Luc Boisvert au spectacle de Blink-182 à la salle St-Philippe. Le quatrième membre des Trois Accords, Alexandre Parr, leur aîné d’un an, était aussi présent.

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Charles Dubreuil

Les deux choses dont je me souviens, c’est que Blink jouait vraiment, vraiment bien, et qu’un des nos amis, Charles Ouellet [plus tard gérant des Trois Accords], avait attrapé le t-shirt de Tom, qui l’avait lancé dans la foule. Il a dû le porter au moins deux fois par semaine pendant trois ans.

Charles Dubreuil, batteur des Trois Accords

Et la salle St-Philippe, ça ressemblait à quoi ? « Dans mon souvenir, c’était un sous-sol de salle de réception assez typique », raconte celui qui jouait déjà avec Simon Proulx dans un groupe punk baptisé Answer Less. Jean-Benoit Lasanté, directeur musical d’En direct de l’univers, en était le guitariste. « Des plafonds bas, des murs blancs, un carré vide où ça n’a pas vraiment de sens de faire des shows, mais où tout d’un coup, tout devenait possible. »

Pour Dubreuil, c’est l’heure de la découverte du pouvoir transformateur de la musique. À bord des autocars que nolise le Skwat, une boutique de planches à roulettes de Drummondville, l’ado se rend à Montréal pour plusieurs spectacles, dont celui de Pennywise au Metropolis, « 50 kids de 14-15 ans surveillés par un seul adulte qui devait avoir 18, 19 ans ».

« Des shows comme ceux-là, à 15 ans, c’est des affaires qui changent une vie. »

Bientôt millionnaires

Le 29 juillet 1996, My Big Wheel remet ça pour une deuxième première partie de Blink-182 en moins de quelques mois, cette fois-ci au minuscule Underworld, dans Ahuntsic, au lendemain du Warped Tour, la caravane punk qui avait secoué l’Hippodrome de Montréal. Le groupe californien Unwritten Law est aussi de l’affiche.

De 1995 jusqu’à la fermeture de sa première incarnation, en 2003, la boutique Underworld, fondée par l’entrepreneur Alex Bastide, se sera forgé une réputation d’oasis pour les groupes punk en tournée, et aura contribué à cimenter la relation privilégiée de plusieurs d’entre eux avec Montréal. La preuve : Blink-182 renouait déjà avec le Québec en septembre 1996, le temps d’une tournée qui s’était aussi arrêtée à Trois-Rivières et, à nouveau, à Drummondville.

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Blink-182 à l’Underworld, le 29 juillet 1996

Pour moi, c’était important de les emmener manger de la poutine, voir le mont Royal. Je suis même déjà allé visiter l’oratoire Saint-Joseph avec le batteur de Satanic Surfers [groupe de skate punk suédois]. Je me suis toujours vu auprès d’eux comme un ambassadeur de Montréal.

Alex Bastide, fondateur de l’Underworld

Le jour de son passage à l’Underworld, Blink-182 avait, dit-on, la mine basse, ce qu’il serait pourtant impossible de deviner en visionnant son spectacle immortalisé par une vidéo amateur, durant lequel Mark se soulage dans un verre de bière et dédie à My Big Wheel A New Hope, son ode à princesse Leia.

Visionnez le spectacle de Blink-182 à l’Underworld

« Les gars de Blink étaient déprimés parce qu’ils s’étaient fait voler tout leur argent dans leur van la nuit d’avant, explique Frédéric Jérôme. Je me rappelle que Scott Russo [chanteur de Unwritten Law] leur avait dit : ‟Mark, Tom, c’est pas grave, dans quelques années, vous allez devenir millionnaires. » »

Blink-182 sera en concert au Centre Bell vendredi le 12 mai.