Au milieu de l'enregistrement d'un quatrième CD, coiffé du titre provisoire Adventures in Your Own Backyard, Patrick Watson nous reçoit dans son antre. Son groupe et lui donneront à la fin du mois quatre concerts en périphérie de Montréal, avant de s'envoler vers Amsterdam pour jouer avec le mythique Royal Concertgebouw Orchestra. Rencontre avec un musicien pas comme les autres.

À la fin de sa dernière année en musique au cégep, Patrick Watson a décidé de partir à New York. Seul et sans le sou, il est monté dans l'autocar Greyhound avec rien d'autre que ses rêves de jeune musicien en quête d'inspiration et de reconnaissance. Arrivé à la frontière américaine, pourtant, il n'avait plus qu'un rêve: rentrer à la maison au plus sacrant. Un peu honteux, il a demandé au chauffeur de le laisser descendre. Il a fait du pouce jusqu'à Montréal, furieux contre lui-même, mais aussi plus déterminé que jamais à changer le cours de son existence.

«La meilleure décision de ma vie, s'écrie-t-il au milieu du local de musique/studio d'enregistrement et bordel universel du boulevard Saint-Laurent qui lui tient lieu de siège social depuis 10 ans. «Parce que si j'étais allé à New York, je n'aurais jamais eu la liberté de créer. J'aurais passé mon temps à travailler pour payer le loyer. J'aurais été perdu dans une mer de nouveaux groupes qui essaient de faire leur place et toute cette agitation m'aurait empêché de découvrir qui j'étais vraiment et quel genre de musique j'avais envie de faire. Finalement, j'ai été très chanceux de sortir de ce bus!»

Une boule de feu

Autant la musique de Patrick Watson est planante, atmosphérique, impressionniste, presque zen, autant le musicien de 31 ans est volubile, animé, effervescent, fumant cigarette sur cigarette et ne tenant pas en place. Bref, malgré sa voix d'ange et son aura de chanteur éthéré, Patrick Watson est une boule de feu. C'est le premier cliché qui tombe lors de notre rencontre. Le deuxième ne tarde pas à suivre. Comme bien des gens, j'étais convaincu que Patrick Watson était un pur produit du Mile End, quartier de la grande famille musicale anglo-montréalaise qui a fait la renommée internationale du «Montreal Sound». Mais même si le groupe de Watson est souvent associé à Arcade Fire ou aux Dears, il n'est pas Mile End pour un sou.

«Moi, ça fait 10 ans que je vis dans le Plateau. Mes premiers shows, je les ai donnés dans les galeries et les bars du Plateau, au cinéma L'Amour devant un public francophone. À vrai dire, je n'ai jamais fait partie de la scène du Mile End.» Dix ans plus tard, Watson vit encore dans un loft du boulevard Saint-Laurent avec sa blonde Sophie, Oscar, 2 ans, et le petit dernier, né il y a un mois.

D'aussi loin qu'il se souvienne, Watson a toujours été mélangé dans ses allégeances, vivant à la fois en français et en anglais.

«En deuxième année, même si Hudson était majoritairement anglo, j'ai demandé à mes parents de m'inscrire à l'école française. Je ne sais pas pourquoi. Je le voulais, c'est tout. J'y suis resté quatre ans avant d'être renvoyé.»

Ses influences

Né sur une base militaire du désert de Mojave en Californie, Patrick Watson est le cadet de cinq enfants. Son père, pilote d'essai dans l'armée canadienne, a transporté des bombes pendant la guerre froide et piloté des Challenger avant de se recycler dans le marché du jet privé. Son frère Jamie a été pilote de Hercules pendant les conflits au Rwanda et en Bosnie. Une de ses soeurs a fait du patinage artistique avec l'équipe canadienne olympique. Il se souvient d'ailleurs de l'avoir accompagnée mille fois à la patinoire du coin. Mais dès l'âge de 7 ans, ce n'est ni le patin ni le hockey qui capte son imagination, mais la chorale de l'église de Hudson où il chante tous les dimanches.

«J'adorais chanter à l'église et jouer du piano à la maison. Mon souvenir d'enfance préféré, c'est quand, à la tombée de la nuit, je sortais en cachette pour suivre la voie ferrée derrière chez nous avant d'aller me perdre dans la forêt, puis de revenir jouer du piano. Je pense que c'est là que tout a commencé», raconte-t-il.

En réalité, il y a eu plusieurs commencements dans la vie et l'oeuvre de Patrick Watson. Après la voie ferrée de Hudson, le Lower Canada College, école privée qui compte parmi ses diplômés le père de Michael Ignatieff et l'ex-recteur de McGill, lui a offert un premier tremplin artistique en l'initiant à la littérature et à la musique grâce à un prof qui avait joué dans l'orchestre de Duke Ellington. Puis le cégep Vanier et son programme de jazz et de composition lui ont ouvert de nouvelles portes musicales et lui ont fait rencontrer Robbie Kuster, Simon Angell et Mishka Stein, les musiciens et complices avec qui il formerait un groupe et ferait le tour du monde, jouant autant avec James Brown qu'avec Philip Glass. Ajoutez à cela l'influence de la chanteuse islandaise Björk, l'aide poétique de son ami d'enfance Louis Nagy, l'inspiration de la photographe Brigitte Henry, sa première blonde, un voyage halluciné au Vietnam avec son copain le peintre Rodney Dickson et vous avez l'essence d'un créateur en pleine gestation.

Inclassable

Reste qu'au plan strictement pratique, si le groupe de Watson a pu finalement voir le jour, c'est grâce au... Cirque du Soleil. À l'époque, le Cirque cherchait à lancer une étiquette de disques. Dans l'espoir d'attirer des talents émergents, le Cirque a distribué des bourses à droite et à gauche, notamment à la bande de Patrick Watson.

«Imaginez, sans nous connaître, sans même savoir ce qu'on valait, les gens du Cirque nous a donné 7000 $ pour qu'on s'aille s'enfermer dans un loft à Brooklyn pendant un mois pour composer. Autant dire que nous avons bu la moitié de cet argent, fait des rencontres incroyables, mais surtout, pendant un mois, nous avons joué tous les jours. C'est dans ce loft que nous sommes vraiment devenus un groupe et que nous nous sommes en quelque sorte mis au monde.»

L'étiquette de disque n'a jamais vu le jour et les gens du Cirque ont complètement oublié Watson et sa bande. Qu'à cela ne tienne, les musiciens formant un noyau désormais soudé sont revenus à Montréal avec des chansons, un son et un univers musical inclassable empruntant autant au rock, au classique et qu'à la musique concrète. Inclassable est d'ailleurs un mot que Patrick Watson affectionne particulièrement.

«Depuis la sortie de notre premier CD, Just Another Ordinary Day en 2003, les gens n'ont jamais su dans quelle case nous mettre. Encore aujourd'hui, on ne fitte nulle part. Pour les uns, on est trop pop, pour les autres, trop expérimental. Ce n'est pas qu'on veut faire bande à part. On est faits de même et c'est pas plus mal.»

Depuis quelques mois, le groupe se retrouve tous les jours dans le loft du boulevard Saint-Laurent pour créer la suite de Closer to Paradise paru en 2007 et de Wooden Arms, paru en 2009. Un titre provisoire a été trouvé: Adventures in Your Own Backyard, mais Watson cherche encore un fil conducteur.

«Mon seul deadline, c'est quand ça sera bon. On attend, on cherche, on essaie des affaires. Ce n'est pas une époque idéale pour écrire ou composer. La musique est allée au bout de plusieurs styles, mais c'est à nous de trouver la suite. C'est difficile mais stimulant.»

À la fin du mois, Watson et ses musiciens qui portent le nom de Wooden Arms se paieront une mini-tournée exploratoire à Longueuil, Sainte-Thérèse, Valleyfield et Saint-Jean-sur-Richelieu, histoire de tester leur nouveau matériel. Puis, direction Amsterdam, où ils sont attendus avec jubilation par leurs nombreux fans pour un concert symphonique le 29 avril dans le mythique Concertgebouw, là où la Cinquième de Malher a été créée. Ce jour-là, ce sera la fête de la reine aux Pays-Bas et même si Watson et ses musiciens n'ont rien à voir avec la royauté, ils seront plus souverains que jamais.