Un village isolé dans les Alpes, une femme retrouvée dans le lac, une famille rongée par les secrets… Dans son tout nouveau titre, Il ne se passe jamais rien ici, Olivier Adam tisse une profonde réflexion sociale sur fond de suspense. Nous avons joint l’écrivain français chez lui, en France, pour lui parler de ce roman complètement envoûtant.

Il ne se passe jamais rien ici navigue entre l’enquête policière et le drame familial. Qu’est-ce qui vous a donné envie de vous engager dans cette voie ?

Ça faisait depuis mon premier livre, Je vais bien, ne t’en fais pas, que je n’avais pas joué avec cet effet de suspense. Au début du livre, il y a une femme du village qu’on retrouve morte. Tout le monde la connaît, tout le monde est dévasté et en même temps, tous les hommes du coin peuvent être suspects d’une certaine manière. Il y a un côté, comme disent les Américains, whodunnit – qui l’a fait ? Très vite, les soupçons se portent sur Antoine, qui est le fil rouge du livre. A priori, même s’il subsiste toujours un doute, le lecteur est plutôt dans l’idée que c’est un coupable un peu trop idéal pour que ça soit honnête. Et un des moteurs du livre, c’est comment il va se dépatouiller de tout ça. Après, je crois beaucoup à un truc – je l’ai expérimenté, ça fait 15 romans que j’écris, j’ai écrit des films, etc. –, c’est qu’on bâtit des personnages, on les plonge dans une intrigue en particulier, et à un moment donné, ils ont une fatalité qui leur est propre. Et je serais porté à dire que je ne choisis pas ; il y a quelque chose du fatum, du destin. Et en plus, au-delà du côté roman noir, ce livre joue vraiment avec l’idée de la tragédie presque au sens primaire du terme.

L’intrigue est située dans un village des Alpes françaises, non loin d’Annecy ; le genre de village où tout le monde se connaît et sait tout sur son voisin. Ce décor était essentiel pour construire votre huis clos ?

Il était essentiel, mais je ne l’ai pas trouvé tout de suite. Ce que je voulais, c’était effectivement le huis clos, mais un lieu touristique où il n’y a quasiment plus de touristes et où on se retrouve donc dans une sorte d’entre-soi. Au début, j’avais écrit ça en Bretagne, comme souvent, mais je me suis vite aperçu que la question du large était compliquée ; j’avais besoin d’enfermer mes personnages encore plus [rires]. J’avais donc l’intrigue, le trajet du livre et son début, puis j’ai été invité à un festival littéraire sur les bords du lac d’Annecy, à Talloires, un petit village très chic et très beau. Et là, c’était une évidence : j’ai su où j’allais situer mon intrigue.

Comme dans votre roman précédent, Dessous les roses, vous mettez en scène des dynamiques familiales troubles et tendues – la rivalité entre frères, une relation distante entre père et fils, la sœur qui joue le rôle de pacificatrice tandis que la mère tente de préserver l’unité de la famille… 

Il y a un vrai lien entre les deux livres. D’abord, Dessous les roses est très travaillé par le théâtre. Et j’ai poussé aussi la chose dans ce livre, notamment avec les monologues face caméra, si on peut dire, des interrogatoires qui ressemblent à de petits monologues de théâtre. Et au fond, dans le cadre d’une enquête sur des éléments liés à un féminicide ou aux violences sexistes et sexuelles envers les femmes, une des grandes questions, c’est celle du silence et c’est celle de ce qui se dit, de ce qu’on entend. Je parle de la parole des femmes : à quel moment on les croit et on les écoute. L’autre lien avec Dessous les roses, c’est le modèle familial que je travaille : on est dans une famille à la fois très classique – trois enfants, les deux parents –, un modèle un peu dominant, on va dire, et donc en soi très représentatif de quelque chose dans les structures de famille ultra-patriarcales. Et moi, ça m’intéresse parce que c’est le laboratoire d’une société qui est elle-même extrêmement marquée par la question du patriarcat. C’est une métaphore de la société tout entière.

C’était important pour vous d’aborder la question des féminicides dans un roman ?

J’ai travaillé sur la question des réfugiés, de la montée du vote populaire pour les partis populistes et d’extrême droite, des enlèvements entre la France et le Japon… À un moment donné, la vie fait que, tout à coup, quelque chose me percute d’une manière ou d’une autre plus fortement. Le mouvement #metoo, la libération de la parole, ça fait quand même bouillonner la société et je suis entouré de beaucoup de femmes – ma fille, ma compagne, mes amies… Et cette libération de la parole, elle se traduit par l’impossibilité, aujourd’hui, de ne plus regarder les choses en face et de ne plus se questionner en tant qu’homme, même quand on pense qu’on est déjà quelqu’un de relativement déconstruit. Ma compagne est très investie dans une association autour des féminicides qui s’appelle 125 et après, et ma fille, les réactionnaires de chez nous diraient que c’est une affreuse écoféministe [rires] ! Donc ce sont des sujets qui me viennent tous les jours à force d’écouter autour de moi. Et je ne connais aucune femme autour de moi qui n’a pas été, à un moment donné dans sa vie, confrontée à des violences sexistes ou sexuelles.

Il ne se passe jamais rien ici

Il ne se passe jamais rien ici

Flammarion

361 pages