On ne pourra pas reprocher au bédéiste Michel Rabagliati de manquer de transparence. En plus de raconter sa vie dans sa série Paul, il annonce souvent à l’avance la prochaine escale prévue dans son itinéraire artistique. On savait depuis la publication de Paul – Entretiens et commentaires qu’il préparait un roman illustré. Il s’intitule Rose à l’île et, ce n’est pas une coïncidence, il arrive à temps pour la journée « J’achète un livre québécois ».

Paul ne donne pas son nom au titre du nouveau livre de Michel Rabagliati. Ce n’est pas un détail, c’est même une première pour le bédéiste, qui se dévoile depuis plus de 20 ans dans des bandes dessinées à la fois drôles, graves, franches et tendres. Ce choix marque un changement : plutôt que de se raconter dans de petites cases, il déploie des crayonnés délicats et adopte une narration romanesque.

Ceux qui fréquentent Paul depuis des années savent que la Rose du titre Rose à l’île est la fille du narrateur. L’île, elle, n’aura jamais de nom tout au long des quelque 250 pages du livre, qui raconte une semaine de vacances père-fille passées en été quelque part au milieu du Saint-Laurent.

IMAGE TIRÉE DE ROSE À L’ÎLE DE MICHEL RABAGLIATI (LA PASTÈQUE)

« On a fait ça pendant quatre ou cinq étés, juste elle et moi. C’est très rare que je l’aie avec moi cinq jours de suite, dit-il à propos de sa fille qui a presque 30 ans aujourd’hui. C’étaient de belles parenthèses dans ma vie. »

Rose à l’île découle un peu de la pandémie que Michel Rabagliati, toujours célibataire depuis la séparation évoquée dans Paul à la maison (2019), a vécue dans l’isolement. Raconter ces vacances a été une manière de se rapprocher de sa fille, ne serait-ce que sur papier. « J’avais envie de parler d’elle, c’est mon regard de père, autant que je puisse le faire », dit-il, sans réexpliquer que l’entente tacite qu’il a avec ses proches est de les mettre en scène en respectant leur intimité.

De la bédé au roman

S’éloigner du format classique de la bande dessinée s’est imposé d’emblée au créateur. « L’île m’a imposé le format. Comment rentrer le traversier, les épinettes et la grève dans des cases ? Tout est fait sur le large là-bas, c’est le ciel à 360 degrés, alors ça ne rentrait pas vraiment, explique-t-il. C’est là que j’ai eu l’idée du roman illustré. »

IMAGE TIRÉE DE ROSE À L’ÎLE DE MICHEL RABAGLIATI (LA PASTÈQUE)

Le format – qui a quelque chose de vieillot et d’accueillant – colle parfaitement à l’univers de Paul, toujours réconfortant, même s’il est très souvent imprégné de nostalgie. Il permet aussi au dessinateur de laisser vivre son trait dans une plus grande liberté et une sensibilité accrue. Il permet en outre à l’auteur de se déployer davantage. « J’avais le goût de parler plus », dit Michel Rabagliati.

« J’ai trouvé ça plus tough que de faire juste de la bande dessinée, avoue-t-il. Je ne suis pas Dany Laferrière. Faire des phrases et des textes intéressants, c’est un art. Je m’en suis tiré pas pire, mais je suis resté à mon niveau. Je n’ai pas essayé de jouer à Victor Hugo. »

Paul devant le miroir

Dans Rose à l’île, il regarde sa fille vieillir, réfléchit à la vie de couple, à sa vie amoureuse bancale et à son avancée en âge. Malgré le changement de format, les lecteurs de Paul reconnaîtront tout de suite le ton sensible et le regard sans complaisance, bien que teinté d’autodérision, que Michel Rabagliati porte sur lui-même. Comme l’écrivain français Emmanuel Carrère, le bédéiste n’écrit pas pour ne montrer que son plus beau profil.

IMAGE TIRÉE DE ROSE À L’ÎLE DE MICHEL RABAGLIATI (LA PASTÈQUE)

Dans une version préliminaire de Rose à l’île, Michel Rabagliati allait même plus loin : il abordait plus longuement ses relations avec les femmes et parlait de la sexualité à 60 ans. Ce qui a suscité un malaise chez ses éditeurs qui jugeaient, dit-il, que ces passages sortaient du cadre de Paul pour entrer de plain-pied dans la vie trop intime de son auteur.

Paul, sans être asexué, n’est pas une série très charnelle, c’est vrai. On est loin de l’univers d’un Jimmy Beaulieu, axé sur les relations amoureuses et le désir. « Peut-être que je le ferai dans un autre livre, peut-être dans un autre format, mais j’ai des choses à dire là-dessus », assure Michel Rabagliati.

IMAGE TIRÉE DE ROSE À L’ÎLE DE MICHEL RABAGLIATI (LA PASTÈQUE)

Et le voilà qui réfléchit tout haut à la suite et, l’air de rien, annonce ce qui viendra probablement ensuite. « Il y a des choses dont je veux parler, mais que je ne peux pas étirer sur 50 pages. Ça pourrait être intéressant d’exploiter ces petits thèmes dans des histoires courtes, concentrées. Comme dans Paul dans le métro : on prend un sujet, on y va à fond et on passe à autre chose. » Rendez-vous dans trois ou quatre ans avec un Paul au lit ?

Rose à l’île

Rose à l’île

La Pastèque

256 pages