Dans son nouvel opus imbibé de rock, en librairie ce mercredi, la romancière-vedette belge met en scène la relation fusionnelle entre deux sœurs, exacerbée par des parents indifférents qui n’auraient pas dû l’être. Surtout, entre les lignes de ce Livre des sœurs, on perçoit quelques cordes sensibles de l’auteure, qui a bien voulu les faire vibrer en notre compagnie.

Au commencement, il y a cet amour fou entre Nora et Florent, couple aussi fantasque qu’hermétique. De cette union naquirent, plus par obligation sociale que par réel désir, Tristane et Laetitia. Faute de considération parentale, les deux sœurs ne pourront compter que sur leurs aptitudes, leur débrouillardise, la connivence de leur cousine Cosette, mais surtout sur une complicité sororale indéfectible. Pour s’élancer sur l’autoroute de la vie, elles miseront aussi très gros sur les Pneus, leur groupe de rock destiné à laisser une trace dans le paysage musical – un itinéraire ponctué de croisements, de bretelles d’entrée et de voies de sortie. Rien pour ébranler l’union inextricable du duo féminin déluré, dépeint avec le style décalé propre à Nothomb, qui a voulu, un an après un retentissant hommage à son père (Premier sang), chanter une ode aux sœurs inséparables de ce monde.

« Ce qui m’importait avant tout était de décrire l’amour qui peut unir deux sœurs, ce que cette relation fusionnelle peut entraîner comme conséquence dans une vie, même si je sais que cela ne se passe pas ainsi entre toutes les sœurs de l’univers », confesse l’écrivaine, précisant entretenir des liens inextricables avec sa sœur aînée – le roman ne décrit pas, néanmoins, leur histoire spécifique, cherchant plutôt à restituer l’intensité d’un amour si puissant qu’il supplante, à ses yeux, celui de l’âme sœur.

Je vis d’autres formes d’amour, mais je suis très marquée par celui vécu avec ma sœur depuis ma naissance. C’est encore plus fort que l’amour parental, et même plus fort que l’amour amoureux.

Amélie Nothomb

Liens solides comme du rock

Tristane et Laetitia se montreront d’autant plus soudées que leurs géniteurs semblent les ignorer superbement, à titre de « parents-forteresses », comme les décrit Amélie Nothomb, qui tient à nous rassurer : les siens furent aimants.

Heureusement, il y a les Pneus, projet musical décoiffant et centre de gravitation des protagonistes. Et le choix d’un répertoire rock n’est pas anodin, puisque l’auteure confie être friande de guitares saturées. « À mon enterrement, je veux qu’on joue la chanson Lateralus du groupe de métal Tool, ça sera une magnifique cérémonie, je vous recommande d’y être ! », projette celle qui aurait plutôt souhaité être une vedette rockailleuse qu’une star littéraire. « J’aurais infiniment préféré être rockeuse plutôt qu’écrivain. Les relations entre un chanteur de rock et son public, c’est quelque chose de tellement fort. Malheureusement, on ne choisit pas son talent, mais ce n’est déjà pas si mal d’être un écrivain qui, en plus, a la faveur du public », reconnaît-elle.

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Complexes et complexité

« Les mots ont le pouvoir qu’on leur donne », est-il rappelé, en abyme, dans ce récit touchant ; un pouvoir à double tranchant, salvateur comme destructeur. Ainsi, dès son plus jeune âge, Tristane traîne comme un boulet un complexe lié à ses lunettes, entretenu puis dissous par le silence et les propos d’autrui. Amélie Nothomb aurait-elle été confrontée elle-même à quelques petits diablotins de conscience ? « Une parole malheureuse, même dite par les parents les mieux intentionnés au monde, peut produire des effets délétères », indique celle qui a longtemps cru à tort que ses parents ne la trouvaient pas jolie.

Dans le cas de Tristane, le drame de sa mère, c’est qu’en dehors de l’amour de son mari, elle n’éprouve strictement rien, et ce vide dégénère en une véritable cruauté.

Amélie Nothomb

Et sa belgitude ? A-t-elle pu être une pierre d’achoppement pour cette femme de lettres qui a conquis la France ? « C’est vrai qu’il m’a fallu lutter contre ça, mais ça s’est plutôt bien passé dans mon cas », estime-t-elle. Les bras de fer ont surtout eu lieu avec ses éditeurs, qui hallucinaient des belgicismes dans ses tournures de phrases, alors que celles-ci découlaient plutôt de son style très particulier. « Toutes les correctrices disaient : “Peut-être qu’en Belgique, on dit les choses comme ça, mais pas en France”, et chaque fois je répondais : “Mais ce n’est pas du belge… c’est du Amélie Nothomb !” » Cela dit, elle reste une ardente défenseure de mots spécifiquement belges, dont ses favoris « brol » (barda, bazar) et « jouette » (qui aime jouer), qu’elle souhaiterait voir fleurir dans l’Hexagone.

Autre corde sensible perceptible dans Le livre des sœurs : l’anorexie de la cousine Cosette, débouchant sur une fin tragi-comique inattendue. Un mal décrit avec une telle pertinence que l’on soupçonne l’auteure, ayant souvent inséré le sujet dans des écrits précédents, d’avoir déjà été aux prises avec lui. « J’étais extrêmement anorexique à l’adolescence et j’ai failli en mourir, confirme-t-elle. C’est un véritable miracle que j’aie survécu. Alors je voulais aussi rappeler que cela peut tuer. » Et mourir de la façon inattendue décrite dans le livre, « ça me paraît une excellente métaphore de l’anorexie », juge la romancière.

Même pour celles et ceux qui ne l’ont pas connu, l’amour sororal devrait avoir une résonnance particulière, et très rock’n’roll, sous la plume de cette écrivaine inclassable.

Le livre des sœurs

Le livre des sœurs

196 pages

Albin Michel