La nouvelle PDG de Bibliothèques et Archives nationales du Québec (BAnQ), dont la nomination a fait grincer des dents dans le milieu bibliothécaire l’été dernier, avait annoncé vouloir être jugée sur ses actions. Elle a ainsi souhaité attendre que le palier symbolique des 100 jours en poste soit franchi avant de dresser un premier état des lieux. Nous l’avons rencontrée dans ses nouveaux quartiers, au cœur de la Grande Bibliothèque.

« En gestion, on dit toujours que les 100 premiers jours, c’est le moment où l’on se fait sa propre opinion de l’organisation », explique Marie Grégoire, qui a passé ses premières semaines à s’assurer que sa vision coïncidait avec celles des différentes sphères et équipes du réseau bibliothécaire. Elle a également beaucoup lu ; non pas des romans glanés sur les rayonnages, mais une avalanche de rapports concernant BAnQ — « plus que dans toute ma carrière », lance-t-elle.

La poussière soulevée lors de sa nomination a-t-elle fini par retomber ? Pour rappel, le choix du conseil d’administration avait piqué au vif des professionnels du milieu, dont certains dénonçaient une décision « politique et partisane », déplorant notamment le fait que la candidate n’avait pas de formation en bibliothéconomie. « Je ne vous cacherai pas que lors de ma première intervention dans des groupes plus spécialisés, j’étais plus inquiète, mais finalement, je dirais que la réaction est très bonne », répond Mme Grégoire, concédant avoir été « surprise, déçue et blessée » par la polémique.

Beaucoup ont laissé la chance au coureur et se rendent compte que j’ai la passion de BAnQ.

Marie Grégoire

Depuis, elle a enchaîné tables rondes et interventions auprès d’organismes du secteur, comme l’Association des archivistes ou la Table de concertation des bibliothèques, sans cahot notable. La page est-elle définitivement tournée ? Visiblement, mais qu’importe, la PDG s’est déjà attaquée aux chapitres subséquents, émaillés de chantiers et défis de taille : conservation, numérisation, accessibilité. « Je ne suis pas bibliothécaire ni archiviste, mais je pense qu’en tant que gestionnaire, j’ai la volonté de protéger et de diffuser les collections et le patrimoine de BAnQ auprès de tous les Québécois, peu importe où ils se trouvent sur le territoire », lance-t-elle.

BAnQ pour tous et toutes

Une des ritournelles de son plan stratégique : la convivialité, qui se matérialise par un accès facilité aux services et espaces offerts par l’institution. « J’ai l’impression que les Québécois ne savent pas tout ce qu’on peut faire pour eux dans un contexte d’apprentissage, qu’ils ont le sentiment que BAnQ, c’est pour les autres et pas pour eux », soulève celle qui souhaite que le public en prenne conscience et s’approprie les lieux et ressources disponibles ; de la recherche généalogique au divertissement vidéoludique, des livres pour tout-petits à la consultation de PressReader. « On veut que ça ne soit pas compliqué d’interagir avec BAnQ. Aujourd’hui, on peut “googler” facilement, peut-être pourra-t-on bientôt “banquer” facilement ? », imagine-t-elle.

PHOTO EDOUARD PLANTE-FRÉCHETTE, ARCHIVES LA PRESSE

La BAnQ regroupe de nombreuses collections et archives. Leur numérisation et leur meilleure accessibilité constitueront l’un des grands défis de la société d’État.

Inévitable, le dossier du numérique en sera l’un des rouages, permettant de gommer des contraintes d’espace et de temps. Mais concrètement ? Marie Grégoire évoque l’exemple de la refonte du site web, afin « de mettre nos collections en contact avec les Québécois dès la page d’accueil », prévue pour septembre 2022 – un projet pour lequel elle aurait souhaité presser le trot, avant de constater qu’elle devait s’adapter à un nouveau tempo.

C’est une des choses que j’ai apprises dans ces 100 jours : j’aime que les choses aillent vite, mais on m’a demandé d’être plus raisonnable. J’apprends donc à doser, à avoir une patience pressée ou à être pressée patiemment.

Marie Grégoire

Une mutation qui concerne également le personnel, à qui elle souhaite fournir des outils de pointe et des formations pour s’adapter aux nouvelles réalités bibliothécaires, tout en fédérant les trois piliers de l’institution, à savoir la Grande Bibliothèque, les Archives nationales et la Bibliothèque nationale. « Les équipes sont extraordinaires, développent des réflexes, des partages et des expertises, mais ont besoin d’encore mieux travailler ensemble, de façon plus transversale », constate-t-elle.

Deniers publics et patrimoine religieux

Côté finances, la présidente, qui a effectué plusieurs démarches, espère obtenir dans le prochain budget au moins de quoi couvrir les coûts de fonctionnement, tout en lorgnant des investissements issus de partenariats mutuellement bénéfiques. Par exemple, BAnQ pourrait apporter son expertise à divers organismes gouvernementaux : en matière de gestion documentaire, de francisation, d’intégration ou de reconversion professionnelle dans un contexte de pénurie de main-d’œuvre. « Nous pourrions faire partie de la solution pour divers défis auxquels l’État fait face et, en contrepartie, être capables d’aller financer nos missions premières », suggère-t-elle.

Autre chantier se profilant à l’horizon : accompagner les communautés aspirant à la conservation des archives religieuses. « Ça sera quelque chose d’important dans les prochaines années. Là-dessus, les Québécois sont un peu paradoxaux : on veut une société laïque, mais aussi s’assurer de bien conserver l’héritage, entre autres catholique, qui a marqué l’histoire et le développement du Québec », annonce Mme Grégoire.

Il faut se souvenir de ce qui s’est passé pour en tirer des enseignements, et les archives religieuses nous en disent beaucoup sur nous-mêmes.

Marie Grégoire

Enfin, nous avons interrogé la nouvelle PDG sur sa position vis-à-vis des poussées de la « culture de l’annulation » et de la rectitude politique, avec la multiplication des voix réclamant le bannissement d’œuvres, d’auteurs ou de simples mots. « Notre directrice de collection dit que l’on mise sur l’intelligence des personnes qui viennent nous voir. On donne un accès large à des données, parfois avec des notes, mais la liberté d’expression reste le premier vecteur, et j’adhère à cette vision qui était déjà là bien avant que je n’arrive. Si on veut faire des recherches sur des sujets sensibles, encore faut-il avoir accès à des livres qui parlent de ces sujets sensibles », conclut-elle.

Une œuvre emblématique ?

Quelle œuvre vous semble le mieux refléter la personnalité de l’institution ? Nous avons resservi cette question à la nouvelle PDG, posée l’an passé à son prédécesseur Jean-Louis Roy. Son choix : l’ensemble des travaux de Serge Bouchard. « Il a voulu mettre les gens en contact, donner accès, démocratiser le savoir, toujours expliquer davantage. Pour moi, c’est ça, BAnQ », dit-elle.

PHOTO ALAIN ROBERGE, ARCHIVES LA PRESSE

L’anthropologue, écrivain et animateur Serge Bouchard