L’autofiction cartonne et les écrivains s’en donnent à cœur joie pour coucher sur papier des fragments de leur vécu. Mais à peine sa nouvelle fiction, un roman d’amour passionné intitulé La plus-que-vraie, déposé chez son éditeur, Alexandre Jardin s’est retrouvé dans un schéma totalement inverse, rattrapé par la réalité : il est en train de vivre le même sort que son personnage, catapulté dans une spirale amoureuse poétique, insensée et absolue !

D’un bout à l’autre de l’entrevue menée par visioconférence, l’auteur à succès français radote tant qu’il nous évoque une version polie d’Alfredo, le perroquet mal élevé figurant dans son roman. « C’est fou, c’est complètement fou, ce qu’il arrive ! », répète-t-il en boucle. Sa caméra nous renvoie le tableau d’un bonheur illuminé : état proche de la béatitude, villa rosée reposante, soleil septentrional, gais pépiements d’oiseaux… À quelques kilomètres de là, un chantier. Celui d’une maison en rénovation, où il compte nidifier son idylle avec une femme qu’il n’a jamais vue. Une Ontarienne dont il est tombé fou amoureux quelques mois plus tôt, après une correspondance transatlantique enflammée par messagerie et réseaux sociaux. Celle-ci lui a fait parcourir l’Hexagone pour récupérer des meubles achetés par ses soins dans des petites annonces pour agrémenter leur logis. « C’est incroyable ! », répète l’écrivain, qui s’apprête à la découvrir en charmes et en os pour la première fois ce mois-ci, maintenant que les passages aux frontières se sont assouplis.

Pendant quelques instants, on se pose la question : est-il en train de nous décrire la trame de son nouvel opus ou celle de péripéties réelles ? Les deux, mon capitaine, puisque le scénario imaginé et produit en 2020 pour La plus-que-vraie est en train de se concrétiser dans le monde tangible.

Voyez donc : le roman met en scène Frédéric Sauvage, écrivain populaire désabusé qui, à défaut de connaître lui-même les passions du cœur, l’injecte à hautes doses dans ses écrits. Un jour, au comptoir d’un hôtel, son chemin croise celui d’Alice, femme fantasque dont il partage le patronyme – mais c’est surtout sa vie qu’il souhaiterait partager avec elle. Les voici ensuite pris dans la fougue d’un tourbillon poétique, un jeu de cache-cache aux tendances les plus inattendues, déjantées et coquines, se fixant des prescriptions délicieusement cintrées (Règle 11 : « Partir en vacances en suivant tous les panneaux “Autres directions" »). Car ce à quoi aspire Alice, c’est « un chef-d’œuvre, sinon rien ». Ensemble, ils récolteront l’écume des jours, même quand ceux-ci seront comptés. Bref, un amour sous le signe de la folie, ascendant poésie.

« L’imaginaire convoque la réalité »

Et c’est justement dans le même type d’amour total qu’Alexandre Jardin vient de plonger la tête la première, en compagnie de cette Ontarienne qui s’apprête à devenir plus que vraie. Un élan réel impulsé par ses propres écrits ? « Tout à fait, quand on met un couvert pour que le sublime vienne s’asseoir à table, il peut venir. Quand on accepte cette dimension de la vie, quand on la réclame totalement – et c’est ce que veut l’héroïne, qui n’est pas prête au compromis – je crois que l’imaginaire convoque la réalité », déclare-t-il, notant que nombre d’œuvres porteuses de cette même intransigeance amoureuse ont traversé les siècles, comme Roméo et Juliette ou les romans médiévaux d’amour courtois.

Mais en servant cette histoire de cœurs sans bornes, ne craint-il pas de berner ses lecteurs en les berçant d’illusions ? De créer une nouvelle génération de mesdames et messieurs Bovary ? « Non, plutôt de l’euphorie, parce qu’écrire sur l’amour absolu, c’est écrire sur le sang de la vie, sur un rapport sauvage, à un haut niveau de vérité. »

Bovary, c’est une femme qui est dans le mensonge, parce que Flaubert est ainsi, il n’a jamais vraiment été heureux.

Alexandre Jardin

Par ailleurs, La plus-que-vraie a bénéficié de la contribution d’une autre femme, Alexandra Sauvêtre, qui a rédigé les lettres du roman avec une intense force poétique, dans le droit fil des aspirations d’Alice. Il sonne aussi une double révolte, s’insurgeant d’une part contre l’amour enraciné dans la société de consommation (« l’amour-Tinder », illustre l’auteur), d’autre part contre la « compression des êtres » découlant du confinement, pendant lequel fut rédigé le roman.

Une pièce de théâtre

En attendant le prochain chapitre de son conte de fées franco-ontarien, il compte bien tremper sa plume dans ce réservoir de réalité afin de le retransposer en mode littéraire, sous une forme théâtrale. « Je vais en faire une pièce. Parce que c’est aussi l’histoire la plus drôle au monde. L’amour absolu, c’est vraiment le choix de la légèreté ! »

Leurs échanges épistolaires, totalisant quelque 5400 pages de correspondance, seront également édités. Un instant ! Il n’y en aura que deux exemplaires. « Un pour elle et un pour moi », précise-t-il aussitôt.

Nous avons toutefois demandé à Alexandre Jardin s’il souhaitait confier à sa dulcinée une missive par le truchement de nos colonnes, si d’aventure cette résidante de Waterloo lisait La Presse. « Merci d’être une femme-source, une femme-chance, une femme-délivrance, une femme-respiration, une femme-liberté pour un homme. » Dans l’esprit du nouveau roman, le message a été embouteillé et jeté dans le fleuve, puisqu’il est question d’amour à contre-courant.

La plus-que-vraie

La plus-que-vraie

Albin Michel

230 pages