Au tour de celui qui nous plonge dans des bouillons de frissons et de tourments de passer sur le gril. En attendant Flots, son prochain ouvrage à paraître dans les prochains mois, Senécal se livre sur ses propres angoisses et sur ses relations avec la Faucheuse. Mon cher Patrick, c’est à ton tour de te laisser parler de la mort…

Quel est votre rapport à la mort ? Y avez-vous déjà été confronté ?

J’en parle dans mon roman Ceux de là-bas. Je n’ai pas peur de grand-chose dans la vie, mais la mort en général, et la mienne en particulier, ça me fait vraiment peur ! C’est étonnant qu’à 53 ans, je n’aie encore jamais perdu quelqu’un de très significatif. Et cela explique peut-être pourquoi cela me fait si peur. Quand j’y serai confronté, ça m’en donnera sûrement une autre vision. À l’heure actuelle, je ne sais pas ce que c’est. Je pense de plus en plus qu’il n’y a rien, mais je n’en suis pas encore convaincu. Et même ce grand néant ne me réconcilie pas du tout avec l’idée que ça va finir un jour.

Avez-vous déjà imaginé votre propre mort ?

Non, je ne veux pas trop penser à ça, j’espère mourir le plus tard possible, en santé. Tant que je peux lire et me servir de ma tête, laissez-moi vivre le plus longtemps possible ! C’est ce que je pense aujourd’hui. Mais peut-être que plus on devient magané, plus la mort devient une option intéressante.

Avez-vous déjà été affecté par la mort de vos personnages ?

Je ne suis pas un auteur schizophrène qui mélange la réalité et la fiction, alors je n’ai aucun problème à faire mourir mes personnages. Je ne vais pas pleurer pour eux, je reste au service de l’histoire. Mais il y en a un que je trouvais vraiment trop sympathique et pour lequel je me suis dit, pour la première fois : « Non, il ne faut pas qu’il meure, lui ! » C’est Simon Gracq, qui apparaît dans la série Malphas.

Qu’est-ce qui vous terrorisait quand vous étiez enfant ?

J’étais très concret, je ne me projetais pas beaucoup dans le futur. Mais quand j’étais jeune, la terreur dans mon quartier, c’était Kim. Un énorme chien enfermé dans sa cour, qui venait aboyer contre le grillage, c’était terrifiant. On l’écœurait et on se disait : « Une chance qu’il n’est pas dans la rue ! » Mais un soir, la nuit tombée, je rentrais seul et il était en plein milieu de la rue, à dix mètres de moi. Il me regardait droit dans les yeux. Une vraie scène de film. J’ai eu extrêmement peur, ça m’a paralysé. Finalement, j’ai réussi à faire un gros détour en cercle, et le chien est reparti chez lui. C’était traumatisant !

Le coronavirus, ça vous fait peur ?

Pas du tout. Je n’arrive pas à en avoir peur ni à m’en inquiéter. Je ne suis ni irresponsable ni conspirationniste : la pandémie existe, j’en suis conscient, je respecte les consignes. Mais je ne suis pas dans les cas à risque. Je travaille dans des sujets de peur et de terreur tous les jours, alors quand survient une pandémie comme ça dans la vraie vie, eh bien, ce sont des choses qui arrivent. Je comprends que les anxieux et les personnes à la santé fragile aient peur. Mais la paralysie totale du système, je remets ça en question. Revenir comme avant, peut-être pas ; le virus existe, je ne le nie pas du tout, mais faire comme si c’était le plus grand assassin du XXIe siècle, je trouve ça fort de café.

Avez-vous déjà été saisi par l’angoisse de ne plus arriver à écrire ?

J’ai toujours trouvé des idées assez vite. J’en suis à la relecture de mon roman actuel, et je n’ai encore aucune idée du prochain, mais ça ne me dérange pas du tout. La seule affaire qui m’angoisse un peu, c’est quand on me passe des commandes avec une date de tombée, même si je sais que je trouve toujours quelque chose. Par contre, il y a toujours un moment au beau milieu de la rédaction d’un roman où j’ai l’impression que je fais de la merde, que j’ai raté mon coup. Puis ça passe. Ma blonde me rappelle que ça arrive chaque fois, et j’ai beau le savoir, ça recommence systématiquement.

Après avoir suivi de près le procès d’Yvan Godbout [poursuivi pour avoir décrit une scène d’agression pédophile fictive], redoutez-vous qu’il vous arrive une affaire comme celle-ci ?

Tout le long, je me disais que ça ne se pouvait pas qu’il soit condamné. S’il l’avait été, il y aurait eu beaucoup d’écrivains dans le trouble. Certaines scènes peuvent être interprétées de tellement de façons. Oui, il y a une petite fille qui se fait violer dans Les sept jours du talion, même si le viol n’est pas décrit. Où sera la limite ? Oui, j’avais peur, et j’ai encore peur d’une espèce d’intolérance et de censure. Je mets dans le même sac le fait qu’on ne puisse plus dire le n-word dans une université, exprimer certaines opinions sur Facebook sans se faire tomber dessus, ou remettre en cause certaines directives gouvernementales sans se faire traiter de conspirationniste. J’appelle ça l’intolérance de la vertu, c’est comme les nouveaux religieux. On peut ruiner la vie de certaines personnes sous prétexte qu’on a la vertu de notre bord. Ça, c’est dangereux. Et ça, ça me fait peur.