«Tu me tues. Tu me fais du bien.» Cette fameuse réplique tirée d'Hiroshima mon amour résume le genre de réactions qu'on éprouve face à l'oeuvre de Duras. L'auteure elle-même a déjà dit, à propos de son roman Détruire dit-elle, «c'est un texte à lire, à jouer, à filmer... ou à jeter»! Il n'y a rien de plus sérieux qu'afficher la pose de ne pas se prendre au sérieux...

Dans sa mise en scène de deux textes signés Duras, L'homme atlantique et La maladie de la mort, Christian Lapointe aborde l'oeuvre en s'interrogeant sur son désir de la représenter. Tel un voyeur, le spectateur observe la dualité entre les images et les mots, le désir et la mort, qui agit comme le fondement du récit. L'écriture de Duras, pleine d'ellipses, de déclinaisons, de redites, fait aussi appel aux silences, aux temps morts. Or, nous sommes au théâtre, un art qui se nourrit mieux d'action, de conflit et d'émotion que de prose froide et blanche.

L'admirable Marie-Thérèse Fortin a le défi de lancer cette musique durassienne sur la scène. Elle dit son texte au micro en interaction avec Anne-Marie Cadieux et Jean Alibert. Ceux-ci forment un couple qui s'interroge sur sa disponibilité à aimer, à désirer. Fortin incarne aussi la réalisatrice d'un film, dont un extrait est projeté en deuxième partie, alors que le couple fera une séance de doublage puis auditionnera une scène (Jean Alibert est excellent dans son numéro final!).

Prose parodie

L'homme atlantique s'avère un spectacle aussi fascinant que rebutant. Il y a quelque chose de facilement imitable dans le ton de Duras, voire de parodique. Par exemple, lorsque Anne-Marie Cadieux, immobile avec des verres fumés et une perruque noire, lance ces inexorables répliques de Duras (Il dit... Elle répond... Vous lui dites... etc., etc.), alors on touche presque à la parodie.

Toutefois, le metteur en scène a bien fait ses devoirs. Sa mise en scène tient autant de l'installation scénique que de la mise en place. La scénographie est formée de panneaux blancs qui servent à la fois d'écran, de toile lumineuse, et qui se replient pour se transformer en cube géant. Lorsque les amants s'enferment dans leur chambre, le spectateur les voit partiellement, à travers un orifice, comme dans un peep-show. Une caméra, toujours à l'avant-scène, est à la fois témoin et acteur de la représentation, brisant le quatrième mur.

«Il faudrait qu'on oublie tout, qu'on casse tout, qu'on détruise tout, afin de repartir à neuf et d'avoir un regard vierge sur les choses de la vie», estimait Marguerite Duras. À défaut de faire cela, l'incursion de Christian Lapointe chez Duras reste un exercice formel habile et intéressant. Mais qui, hélas, se heurte au barrage d'une oeuvre périlleuse.

Jusqu'au 2 juin à la Cinquième Salle de la PDA, dans le cadre du FTA, puis, les 7 et 8 juin au Grand Théâtre de Québec, dans le cadre du Carrefour international de théâtre.

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Marguerite Duras est l'auteure d'une cinquantaine d'ouvrages (romans, théâtre, scénarios) et la réalisatrice de 20 films. Survol.

Duras en cinq livres

Un barrage contre le Pacifique (1950)

Moderato Cantabile (1958)

Savannah Bay (pièce créée au Théâtre du Rond-Point en 1983)

L'Amant (1984), plus de 2 millions d'exemplaires vendus

Écrire (1993)

Duras en cinq films

Hiroshima mon amour (1959), réalisation d'Alain Resnais, scénario et dialogues de Marguerite Duras

Nathalie Granger (1972), avec Jeanne Moreau et Gérard Depardieu

India Song (1975), d'après son roman Le Vice-consul, avec Delphine Seyrig et Michael Lonsdale

Le Camion (1977), avec Duras et Gérard Depardieu

L'homme atlantique (1981), avec Yann Andréa