À ses débuts, on l'a souvent comparée à la légendaire Billie Holiday, à qui elle emprunte I Hear Music pour présenter ses musiciens, mais Madeleine Peyroux est foncièrement une originale. Après son concert en début de soirée au Théâtre Maisonneuve, hier, je la soupçonne plus que jamais de ne pas chanter deux fois une chanson de la même façon Plus encore, j'ai la nette impression que ses musiciens, discrets mais compétents, ne savent jamais tout à fait où elle va les emmener.

On ne pourra jamais accuser la chanteuse de ne pas prendre de risques, elle dont la voix joue constamment à cache-cache - quitte à donner l'impression de fausser - avec la mélodie des chansons, qu'elles soient de son cru ou empruntées à d'autres.

«J'espère que vous la reconnaîtrez», a-t-elle d'ailleurs dit au public avant de reprendre Martha My Dear des Beatles. Non seulement nous entraînait-elle en territoire country plutôt que dans le music-hall anglais de McCartney, mais elle jouait avec cet air très connu avec l'air de dire: «Voyez comme je peux me l'approprier!» Elle a fait de même avec Dylan, ainsi qu'avec Cohen et sa Dance Me to The End of Love, qu'elle a chantée comme si c'était la première fois, mais que le public a pu reconnaître à la version musicale jazzée qu'elle a imposée depuis sept ans. Sa plus belle réussite, au chapitre des emprunts, demeure pour moi le blues Love in Vain de l'immortel Robert Johnson, qu'elle transforme en un hymne solennel, quasi funèbre, une chanson poignante et tout en ambiance avec orgue et slide guitar à l'appui.

Née aux États-Unis, Madeleine Peyroux a notamment vécu à Brooklyn, qu'elle chante dans son tout récent album Standing On the Rooftop, dans lequel elle a pigé abondamment hier. Elle peut chanter de la pop à la manière des années 50, du country, du blues ou du swing, mais elle est d'abord et avant tout une musicienne de jazz dont l'instrument est sa voix, n'en déplaise à la guitare qu'elle gratouille à l'occasion. Il fut un temps où ses excursions vocales passaient moins bien en concert tellement elle semblait manquer d'assurance. Cette époque est bel et bien révolue. Hier, elle causait abondamment, la plupart du temps en français, et avec un soupçon d'humour fort bienvenu qu'elle saupoudre également dans certaines de ses chansons comme la nouvelle The Kind You Can't Afford.

La Suisse Sophie Hunger, qui lançait la soirée, n'est pas non plus une chanteuse comme les autres. Sa voix a plus de puissance et elle a une présence plus théâtrale que servent bien deux musiciens et chanteurs polyvalents et imaginatifs. Qu'elle chante en allemand, en anglais ou en français (Le vent nous portera de Noir Désir), elle a tout de la conteuse qui capte votre attention et la retient. La Javanaise de Gainsbourg, qu'elle est revenue chanter avec Madeleine Peyroux, faisait très chanson française, mais interprétée par deux chanteuses qui se passaient le relais.

Malheureusement, ce premier spectacle s'est terminé en queue de poisson quand, vers 20h20, on a fait signe à Madeleine Peyroux que son temps était écoulé. Sans appel, sans rappel. Lui avait-on dit que son deuxième concert de la soirée était prévu à 20h30?