À 30 ans, Jake Eberts croyait avoir raté sa vie. Quarante plus tard, après avoir remporté plusieurs Oscars à titre de producteur d'une cinquantaine de films dont Gandhi, Chariots of Fire, Driving Miss Daisy et Dances with Wolves, ce natif de Montréal peut difficilement prétendre à l'échec. Pour sa peine, son ami Denys Arcand lui remettra, lundi, au Centre des sciences, la Clé de la connaissance, à l'occasion d'une soirée de financement pour son nouveau projet : Jerusalem en IMAX 3D.

En ouvrant la porte du magnifique appartement montréalais qu'il occupe un mois par année, Jake Eberts jubilait. Pas d'être de passage à Montréal. D'être revenu à temps pour la première neige. « Hier soir en arrivant, j'étais déçu de ne pas voir la moindre trace de neige. Mais ce matin, c'est magnifique, le bleuet du Saguenay en moi est comblé », lance-t-il dans un français presque impeccable qu'il a eu le loisir de bonifier à Paris où il vit avec sa femme depuis 20 ans.

Le fait que Jake Eberts se définisse comme un bleuet du Saguenay est en soi une hérésie. Pas seulement parce qu'Eberts est le dernier des trois enfants d'un contremaître (lire boss) anglophone de l'Alcan. Mais parce qu'il a grandi à Arvida, ville saguenéenne où le bleuet est le voisin qui vit au Lac-Saint-Jean. Mais l'important, c'est que même si Jake Eberts est devenu un producteur émérite doublé d'un homme du monde et d'un grand voyageur, il revendique encore ses racines québécoises pour lesquelles il garde une sincère affection.

C'est ce qui explique l'appartement montréalais, le camp de pêche à La Tuque et la maison de campagne au lac Massawippi, où il a passé tous ses étés, enfant. À la mort de ses parents, il a repris la maison de North Hatley. Il l'a rénovée et agrandie en 1989, l'année où Driving Miss Daisy, qu'il avait produit avec 7,5 millions, a remporté quatre Oscars, dont celui de film de l'année, et fait des recettes mondiales de 145 millions. Autant dire que la rénovation fut grandiose. Depuis, Eberts se fait un devoir de retourner à North Hatley chaque été et d'y recevoir ses trois grands enfants.

Mémoires

Pour le reste, à 70 ans, Eberts ne songe toujours pas à la retraite. Il n'y songera probablement jamais. Il a recommencé à rédiger un livre de ses mémoires. Le premier, paru en 1990, s'intitulait My Indecision is Final (Mon indécision est sans appel). Il y racontait comment, après des études d'ingénieur à McGill et un premier boulot chez Air Liquide à Montréal, puis à Paris, il s'est lancé dans la production cinématographique et a fondé avec le producteur et acteur David Puttnam le mythique Goldcrest Films. Il écrit actuellement la suite de ses aventures dans le merveilleux monde du cinéma. Le livre s'intitulera Never Again. Jamais plus.

En attendant, Eberts a trois projets en chantier pour les six prochains mois. D'abord l'adaptation du best-seller de Bill Bryson, A Walk in the Woods, avec Robert Redford dans le rôle d'un homme qui a réussi sa vie et qui entreprend, avec un homme qui a tout raté, de traverser à pied les Appalaches. Le deuxième projet est un film campé dans le Grand Nord canadien, mettant en vedette un ado de 14 ans et un ourson polaire qui a perdu sa mère. Le tournage doit débuter en avril 2012 dans le nord du Manitoba sous la direction de Hugh Hudson, avec qui Eberts n'avait pas travaillé depuis le succès mondial de Chariots of Fire. Et finalement, Jerusalem, documentaire en IMAX 3D qui lui tient particulièrement à coeur et qui raconte la journée de trois jeunes, un juif, un musulman et un chrétien, à Jérusalem, berceau des religions monothéistes.

Pas un film politique

« Le film, insiste-t-il, ne sera pas politique. Nous ne traiterons pas du conflit israélo-palestinien, nous ne prendrons pas pour un parti plus qu'un autre. Notre but, c'est de montrer qu'il y a une vraie vie à Jérusalem, qu'on peut y vivre en paix sans croiser à tout bout de champ des terroristes qui veulent se faire sauter. Ce ne sera pas tant un film sur la religion que sur les modes de vie qui viennent avec les différentes religions », affirme celui qui, malgré son passé de fils de protestant, se définit aujourd'hui comme un animiste.

Eberts a mis deux années à convaincre les autorités israéliennes de lui accorder les permis pour tourner dans la ville sainte. « En Arabie Saoudite, ça nous a pris trois ans, alors je suis habitué aux longues négociations. Pour Jerusalem, on a soumis notre scénario à plusieurs ministères, mais aussi aux différentes autorités religieuses de la ville. On a eu un accord presque immédiat de l'imam de la ville et du grand rabbin, mais ce sont les chrétiens qui ont été les plus lents à embarquer. Il faut dire qu'ils ont plusieurs chefs et que ceux-ci ne s'entendent pas toujours entre eux. Mais notre plus grand problème était de convaincre l'armée de nous laisser survoler la ville en hélicoptère pour tourner des plans aériens. L'armée, au départ, était réticente, pour des raisons évidentes de sécurité. Mais, finalement, elle nous a donné le feu vert et nous a offert sa collaboration. »

National Geographic

Depuis 2002, Eberts est président de la branche cinéma de National Geographic. C'est à ce titre qu'il a commencé à s'intéresser de plus près au Proche-Orient et à la Chine, pour les tournages, mais aussi pour les marchés que ces pays représentent.

« En tournant Voyage à La Mecque, j'ai découvert que le cinéma était interdit en Arabie saoudite et qu'il n'y avait pas un seul cinéma dans tout le pays. Or, afin de pouvoir présenter notre film, les autorités ont fait construire un cinéma IMAX à Khobar, ville où vivent plusieurs étrangers. C'est quand même incroyable de penser que le seul cinéma de l'Arabie saoudite existe à cause de notre film. En Chine, c'est le contraire. Il y a actuellement 7500 écrans. Il y en aura 15 000 dans trois ans et en 2020, il y en aura 60 000 ! C'est un peu affolant, mais tellement inspirant » dit-il avec enthousiasme.

Lundi soir, au Centre des sciences, lors de la remise de la Clé de la connaissance qui lui est décernée par l'Association des amis canadiens de l'Université hébraïque de Jérusalem, Eberts présentera les sept premières minutes de Jerusalem dont le tournage doit reprendre en janvier. Il profitera de l'occasion pour lancer une campagne de financement pour mener à terme son projet. « C'est la première fois que je finance un film avec des dons, en m'engageant à ce que 100 % des recettes soient remises aux bonnes oeuvres de Jérusalem. Et ça marche très bien. Nous avons déjà ramassé la moitié du budget de huit millions. »

Amateur d'Arcand

Lundi soir, c'est Kevin Costner qui fera le discours de présentation par vidéo. Puis, Denys Arcand remettra à son vieil ami, la fameuse Clé de la connaissance. « Denys et moi, on se connaît depuis longtemps. Je suis un grand admirateur de son travail. J'adore son choix de sujets, la façon dont il dirige ses acteurs. En plus, il ne fait pas du cinéma pour l'argent, mais pour dire quelque chose. Il est de loin mon cinéaste québécois et canadien préféré. »

Arrivé au cinéma un peu par hasard et sans grande culture cinématographique, Jake Eberts a produit plus d'une cinquantaine de films. Il aurait pu en cours de route passer à la réalisation. « Ça ne m'a jamais intéressé dit-il. Je n'ai pas la concentration ni le côté obsessionnel des réalisateurs. Moi, ce que j'aime, c'est développer des projets, lire des scénarios, rencontrer des gens, voir du paysage. Je pense que je souffre d'un déficit d'attention et que la meilleure façon de me soigner, c'est de mener plusieurs projets à la fois. »

Autant dire que Jake Eberts sera heureux au cours des six prochains mois. En janvier, il retournera à Jérusalem pour tenir des auditions afin de dénicher les trois jeunes vedettes principales du film au sein d'une ville où l'âge moyen de la population est de 23 ans. Selon le producteur, ce sont les jeunes qui ramèneront la paix au Moyen-Orient. Et si jamais un film IMAX 3D peut y contribuer, ce sera encore mieux.