Bruno Blanchet est en confinement dans sa ville d’adoption, Bangkok, en Thaïlande. Il se remet d’une grave fracture au pied subie lors d’un tournage en Éthiopie. Nous avons pris de ses nouvelles. Son restaurant de poutine est fermé. Il va bien, mais il donnerait son royaume pour pouvoir manger des roussettes de Tim Hortons avec sa mère à Chomedey.

Comment ça va ? Le moral ?

Je vais bien, merci. On garde le moral, et c’est primordial ici. Les nouvelles vont vite et les règles du confinement changent rapidement, alors on a vite appris à être patients et à ne s’attendre à rien. Les surprises se font rares, à moins qu’elles ne soient mauvaises.

Quelles sont les règles de confinement et de distanciation physique à Bangkok ? Quelle est l’ambiance générale ?

À Bangkok, tout est fermé depuis plus d’un mois – même les parcs –, sauf ce qui est considéré comme un service essentiel. Il y a un couvre-feu de 22 h à 4 h et, pour les contrevenants, les amendes sont salées : selon l’infraction, c’est jusqu’à 2000 $ et deux ans de prison. La vente d’alcool est interdite, ainsi que les réunions de plus de cinq personnes. Le jour, on peut sortir pour magasiner, mais il est conseillé de rester à la maison. La distance recommandée entre les individus est seulement d’un mètre, mais le port du masque est obligatoire en tout temps : dans la voiture, dans l’immeuble, dans la rue… Même à la télé, les animateurs le portent ! Au bulletin d’information, il y a un Plexiglas entre les deux lecteurs, pour qu’ils puissent lire les actualités avec le visage à découvert. En général, on sent que les gens sont tendus, et qu’ils ont hâte au retour à la normale. Comme partout ailleurs, j’imagine.

Tu vis dans un petit ou un grand espace ?

Je vis mon confinement dans un minuscule appartement au centre-ville, chez ma copine Bo, et, jusqu’à présent, malgré l’espace restreint, nous sommes vraiment heureux d’être pris au piège ensemble, surtout que c’est vraiment par accident que je me suis retrouvé ici. Mon appartement est au nord de la ville, dans une autre province, et lorsque je suis sorti de l’hôpital à Bangkok, après ma convalescence, je ne pouvais plus rentrer chez moi, à cause des restrictions du côté des déplacements dans le pays. Et c’est tant mieux, parce que j’aurais été seul, alors que là, avec Bo, on se fait des bonnes bouffes, tous les jours on va sur le toit pour s’entraîner et se garder en santé, et après, on se gâte avec des desserts et des petites soirées télé ; puis le matin, quand on se réveille, qu’on regarde par la fenêtre et qu’on voit dans la rue plein de monde tout seul avec des masques, on se dit : « Une chance qu’on s’a » …

Ton restaurant est fermé ? Comment occupes-tu ton quotidien ?

J’ai la chance ces temps-ci d’avoir beaucoup de travail d’écriture en comédie, ce qui me permet de relâcher un peu de pression sur papier et de me sentir privilégié : c’est étonnant à quel point mon travail me semble essentiel en ce moment ! J’ai l’impression que si mes projets aboutissent et que j’arrive à faire rire le monde dans un avenir prochain – souhaitons-le –, j’aurai offert un peu de joie nécessaire, un peu d’évasion, et j’aurai le feeling que mon isolement n’aura pas été vain parce que j’aurai contribué en quelque sorte au bonheur des gens. Du rire, on va en avoir besoin après l’épreuve de la COVID-19, c’est certain !

Ton fils, sa compagne et ton petit-fils vivent toujours en Thaïlande ?

Mon fils Boris, sa femme Tan et mon petit Zack sont dans le Sud, à Krabi, et pour eux, le confinement est une tout autre réalité : ils habitent dans une coquette maison avec un grand espace de jeu, un immense jardin et une petite piscine, et, en plus, ils ont la pas pire jolie plage d’Ao Nang à cinq minutes en voiture de chez eux… Il y en a qui appelleraient ça des vacances ! Ils doivent quand même se soumettre aux règles de distanciation [physique], et Zack s’ennuie de ses amis. Mais Papa et Maman sont en congé, alors je crois qu’ils vivent un beau rapprochement familial.

Et ton pied ? La course ne te manque pas trop ?

Ma blessure guérit bien, merci, et la course à pied ne me manque pas trop, parce que j’ai découvert dans mon corps une multitude d’autres muscles que j’avais négligés depuis quelques années et qui avaient un grand besoin d’attention ! Avec ma copine, on se fait des séances « d’étirements et de musculation », une espèce de yoga maison où on respire bien, tout en travaillant en profondeur les renforts de la bonne posture…

Le Québec te manque-t-il plus qu’à l’habitude ?

Il me manque tout le temps, le Québec, mais j’ai la chance de toujours l’avoir pas trop loin, avec mon fils ici au pays et avec mes multiples projets à la maison. Mais en toute sincérité, et je te dis ça avec une grosse boule d’émotion dans la gorge, je voudrais pouvoir revenir en arrière et prendre ma maman dans mes bras, je voudrais pouvoir marcher sans souci avec elle dans Chomedey, jaser de n’importe quoi jusqu’à l’épicerie et remplir notre panier de fromages et de fruits, et puis après s’arrêter au Tim Hortons pour s’acheter des roussettes et des beignes au chocolat… En ce sens, je pense que la crise actuelle soulignera pour beaucoup, et moi inclus, le fait qu’on oublie trop souvent d’apprécier ces petits moments dans la vie qui nous paraissent sur le coup ordinaires et insignifiants, mais qui deviennent si précieux et importants quand on ne les a plus, là, drette là.

Crains-tu que la fermeture des frontières perdure ?

Oui, je crains que la fermeture des frontières perdure, parce que le voyage, c’est mon métier, c’est ma passion ; mais ce que je crains surtout, c’est que le monde entier se remette à avoir peur de l’étranger, à la fois de l’individu et du lieu lointain, et que l’on doive pour une énième fois recommencer à défendre l’humanité, en masse, contre les assauts de la haine, de la discrimination et de la stupidité. J’aurais voulu terminer sur une note positiviste, mais au fond, je ne suis pas entièrement convaincu que ça va bien aller… J’espère me tromper. C’est ici donc que je lancerai un appel à tous mes frères et sœurs : soyez vigilants, respectez les consignes, restez unis, et prouvez-moi le contraire ! Je ferai de mon mieux aussi. C’est promis.