L’exposition Riopelle présentée à Ottawa depuis la fin d’octobre met aussi en lumière des œuvres de jeunes artistes contemporains, dont une magnifique pièce d’Aïda Vosoughi qui nous a particulièrement intriguée. Nous sommes allée à la rencontre de cette créatrice qui s’intéresse aux conflits et aux cicatrices qu’ils laissent.

Quoi ?

Le titre exact de l’œuvre d’Aïda Vosoughi est Paysages déplacés II. Il s’agit d’un ensemble de 360 cartes qui présentent des lieux qui n’existent plus. L’artiste d’origine iranienne, qui vit et travaille à Montréal depuis huit ans, s’intéresse à ces endroits qui ont été détruits ou « radicalement transformés » par l’humanité. Ce faisant, il n’y a plus personne qui y vit – ou pratiquement plus. Et dans les représentations d’Aïda Vosoughi, tous ont foutu le camp.

« Le sujet principal, en fait, c’est l’humain, précise l’artiste, mais on ne le voit pas. »

En travaillant l’acrylique fluide sur un papier vélin qui laisse glisser la peinture plutôt que de l’absorber, les paysages deviennent flous. Comme, à un moment donné, dans la mémoire de ceux et celles qui les ont connus avant qu’ils ne soient détruits.

Le propos est dur pour une œuvre qui, elle, est tout en douceur.

Le contraste n’est pas anodin : en Iran, explique Aïda Vosoughi, les arts visuels bénéficient d’une plus grande liberté de création, car on peut évoquer, symboliser et représenter d’une telle manière que tout est interprétation.

Les artistes iraniens ont développé un vocabulaire qui permet de dire des choses sans les dire : « On le comprend, mais on peut aussi le nier. »

« On peut dire que c’est très poétique, pas politique, poursuit l’artiste. Pour moi, la création artistique commence avec une question politique. Ça n’existe pas, l’art sans la politique. »

Il faut noter les pièces de miroir sous le mobile. C’est un symbole de destruction. On peut aussi y voir le reflet des images dans les miroirs comme des reflets sur l’eau, et c’est souvent l’eau qui est à l’origine de conflits destructeurs. « Le manque d’eau ou la mauvaise gestion de l’eau », précise la créatrice.

PHOTO MARCO CAMPANOZZI, LA PRESSE

Aïda Vosoughi

Qui ?

Aïda Vosoughi a commencé ce travail sur Paysages déplacés en 2021, lors du Symposium de Baie-Saint-Paul.

L’artiste et son œuvre ont aussi fait une résidence à l’Espace Adélard, à Frelighsburg, cet automne.

Aïda Vosoughi est venue au Québec en 2014, après cinq années de démarches pour quitter l’Iran. Son parcours québécois est jalonné de belles rencontres qui l’ont aidée dans sa création et la diffusion de ses œuvres, comme Sylvie Lacerte, la commissaire de l’exposition Riopelle, à la croisée des temps. « Sylvie a soutenu ma pratique dès la première expo que j’ai eue à Montréal », explique Aïda. Idem pour l’équipe de l’Espace Adélard, qui fait partie de cette « belle communauté », qui prend des risques avec des artistes émergents, estime la créatrice. « Je me sens très chanceuse et privilégiée d’avoir rencontré ces gens-là. »

Je m’intéresse à la frontière. Comment la frontière a transformé le paysage.

Aïda Vosoughi

Et maintenant ?

La créatrice mène une recherche en France pour un prochain projet sur l’immigration. Elle y passera six semaines au total, en observation autour de la Manche, « là où l’enjeu de l’immigration est très présent ».

Elle ne fait pas un travail journalistique, même si elle va à la quête d’histoires, à la rencontre des gens qui lui permettront de construire une fiction.

« Je mets cette barrière, de ne pas utiliser le narratif des autres pour mon propre travail », précise Aïda Vosoughi, qui est particulièrement touchée par cette déshumanisation des migrants.

L’œuvre ou les œuvres seront faites à son retour au Québec.

Où la voir ?

L’œuvre Les paysages déplacés II fait partie de la rétrospective Riopelle au Musée des beaux-arts du Canada présentée jusqu’au 7 avril 2024 ; puis, au Musée des beaux-arts de Winnipeg, du 1er juin au 29 septembre 2024.

Consultez le site de l’artiste