Dans une salle sombre mettant en valeur une mosaïque de visages et un concert de voix, 19 Montréalaises âgées de 26 à 74 ans, originaires de 10 pays, prennent la parole. Pour raconter la fois où elles ont dû se taire. Né dans la foulée du mouvement #moiaussi, le projet artistique Plus jamais silencieuses de Caroline Pierret Pirson témoigne du pouvoir de la parole, mais aussi, surtout, de celui de l’écoute.

C’est par le truchement d’un film documentaire que la parole se libère dans cette installation présentée à la Galerie de l’UQAM où Caroline Pierret Pirson, une artiste d’origine belge établie à Montréal, vient de terminer sa maîtrise en arts visuels et médiatiques.

Dans ce film de 70 minutes, où l’on ne voit qu’une succession de visages sur fond noir, ces femmes nous parlent, comme d’une seule voix, de la peur de marcher seule le soir, du harcèlement de rue, d’emprise psychologique et de relations toxiques, de la honte, du silence forcé, des oreilles sourdes auxquelles elles se sont butées et du mouvement #moiaussi, source à la fois de tristesse et de libération.

« Elles viennent de Cuba, du Brésil, d’Irak, de Corée, de Chine, de Baie-Comeau, d’Abitibi, de Montréal, mais elles ont toutes en commun, et je pense que ça dépasse même mon projet, d’être des êtres qui méritent d’être écoutés, regardés et aimés, affirme Caroline Pierret Pirson. C’est simple, en fait, mais c’est tellement compliqué. »

Inspirée par la force du mouvement #moiaussi et par le pouvoir de ralliement qu’ont permis les médias sociaux, elle a voulu rendre en voix et en images des histoires qui s’étaient jusqu’alors surtout racontées à l’écrit. Dans le cadre de sa maîtrise, elle s’est elle-même prêtée à l’exercice, sans toutefois inclure son témoignage dans l’œuvre qui est présentée à la galerie.

C’est assez émouvant, ce qui arrive aujourd’hui, parce que c’est la libération de ma propre parole, finalement, à travers la parole des autres femmes.

Caroline Pierret Pirson

« Je me suis rendu compte que le mouvement #metoo m’avait fait du bien parce que je me suis dit : “Je ne me suis pas trompée.” Je l’ai toujours dit et je n’ai pas été entendue. Toutes ont vécu la même chose. Ça peut être du harcèlement psychologique, des problèmes familiaux, mais on a toutes, d’une certaine façon, un jour, vécu un rapport de pouvoir. Moi, j’ai été empêchée de dire, pas forcément par rapport à une agression sexuelle, j’ai juste été empêchée de m’exprimer », a-t-elle confié, jeudi dernier, à quelques heures du vernissage de l’exposition.

Trouver de l’écoute

Il y a la parole, oui, mais que sont les mots sans une oreille pour les recevoir ? « C’est le propos de ma maîtrise, c’est le propos de mon film. Pour moi, le problème, c’est l’écoute », dit celle qui est d’abord photographe et qui travaillait avec le son pour la première fois.

« Je pense que la majorité des gens ne s’écoutent pas eux-mêmes. On est dans une société où tout va tellement vite. On consomme des relations, du matériel, on consomme toutes sortes de choses, mais vivre le moment et prendre le temps d’écouter et de regarder l’autre ? […] Écouter, ça concerne tout le monde. Ça peut désamorcer, ça veut dire : “Tu n’es pas folle. Tu l’as vraiment vécu. Je ne peux pas changer [la société], mais je suis là.” »

PHOTO MARTIN CHAMBERLAND, LA PRESSE

Une mosaïque de portraits vidéo de personnes en posture d’écoute fait partie de l’installation.

Pour incarner cette posture d’écoute, elle a intégré dans son installation une mosaïque de portraits vidéo de personnes qui tendent l’oreille. Le spectateur se tient au centre, entre cette mosaïque et l’écran où est projeté le film qui est au cœur du projet. « Pour moi, ça suscite une autoréflexion : où est-ce que je me situe entre le partage de la parole et l’écoute attentive ? »

Les visiteurs sont aussi appelés à participer en partageant leur récit sur une boîte vocale. Les témoignages recueillis pourront se déployer dans une future installation.

Qualifiant sa démarche d’« artiviste », Caroline Pierret Pirson insiste sur l’importance d’amener l’humain et sa parole dans l’art contemporain. « Ce n’est peut-être pas de l’art contemporain conceptuel comme on a l’habitude de voir. Mais je veux que la personne qui arrive de la rue, en entrant par hasard, comprenne et sente : je te parle. »

Et il faut continuer d’en parler, poursuit-elle. Parce que la parole continue et continuera de se libérer. « Encore hier… », dit-elle, en évoquant le dévoilement le 7 septembre par La Presse, des conclusions d’une enquête indépendante commandée par l’UQAM montrant que l’écrivain Samuel Archibald avait profité de son statut de professeur de littérature pour avoir des relations sexuelles avec deux étudiantes sous son autorité.

« Je pense que c’est important dans le milieu universitaire de s’ouvrir le cœur. Il y a des rapports de pouvoir, entre les étudiants, entre les professeurs. L’UQAM est le reflet de la société dans laquelle on vit. Elle n’est en rien différente. C’est pour ça que j’aime que ce projet soit ici. Parce que j’essaie de susciter une réflexion, pour que les gens prennent le temps de réfléchir à ce que c’est de vivre ensemble avec des êtres humains. »

À la Galerie de l’UQAM, jusqu’au 22 octobre

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