(Washington) À l’âge adulte, Jed Leiber a découvert que sa famille avait déjà possédé en partie une collection d’œuvres d’art religieuses vieilles de plus d’un siècle qui aurait une valeur de 250 millions US aujourd’hui.

C’est lors d’un souper dans un restaurant de New York dans les années 90 qu’il a demandé à sa mère comment était son grand-père, un revendeur d’œuvres d’art qui a fui l’Allemagne après l’arrivée au pouvoir d’Adolph Hitler.

« De quoi grand-père était-il le plus fier dans son entreprise ? », a-t-il demandé.

« Il était très, très fier d’avoir acheté le trésor des Guelfes, mais il a été forcé de le revendre aux nazis », lui a-t-elle répondu.

Cette conversation a mené l’homme originaire de Californie à se lancer dans une mission qu’il porte maintenant depuis plus de 10 ans pour se réapproprier la quarantaine de pièces du trésor des Guelfes, qui est aujourd’hui conservé dans un musée de Berlin.

PHOTO MARCIO JOSE SANCHEZ, ASSOCIATED PRESS

Jed Leiber montre des photos de son grand-père Saemy Rosenberg dans sa maison de Los Angeles.

Cette affaire s’est rendue jusqu’en Cour suprême, et le plus haut tribunal des États-Unis entendra ce cas lundi.

Pendant des décennies, la collection d’œuvres, qui porte le nom de Welfenschatz en Allemagne, était la propriété de la royauté allemande. Elle comprend des récipients utilisés pour entreposer des reliques chrétiennes, des petits autels et des croix ornées. Plusieurs pièces sont en argent ou en or et sont décorées avec des pierres précieuses.

En 2015, M. Leiber a déposé une poursuite contre l’Allemagne et la Fondation du patrimoine culturel prussien. Cette organisation, gérée par l’État, est propriétaire de la collection et elle gère le musée des Arts décoratifs de Berlin, où sont exposées les œuvres. L’Allemagne et la fondation ont demandé au tribunal de première instance de rejeter la poursuite, mais la Cour a refusé. Une cour d’appel a aussi permis au dossier de poursuivre sa progression.

La Cour suprême, qui a entendu les plaidoiries au téléphone en raison de la pandémie de COVID-19, va faire son entrée dans cette affaire. Un autre dossier, concernant les victimes hongroises de la Shoah, sera aussi entendu le même jour.

À cette étape du processus judiciaire, l’affaire du trésor des Guelfes ne vise pas à déterminer si le grand-père de M. Leiber et les deux autres revendeurs qui s’étaient unis pour acheter la collection en 1929 ont été forcés de la revendre, même si l’Allemagne et la fondation continuent de clamer que cette affirmation est infondée. Elle vise plutôt à savoir si les demandeurs — M. Leiber et deux autres héritiers des marchands d’art — peuvent continuer à demander que les œuvres leur soient rendues devant les tribunaux américains. M. Leiber s’est associé à Alan Philipp, qui vit au Nouveau-Mexique, et à Gérald Stiebel, qui vit à Londres, dans ce dossier.

Dans un communiqué, le président de la Fondation du patrimoine culturel prussien, Hermann Parzinger a déclaré que la poursuite devrait être rejetée. La fondation et l’Allemagne ont l’appui du président Donald Trump dans cette affaire.

« Nous croyons que c’est l’Allemagne qui a juridiction dans une affaire qui implique la vente d’œuvres d’art de l’Allemagne médiévale par des revendeurs allemands à un État allemand », a expliqué M. Parzinger.

Selon lui, une enquête visant à déterminer si le trésor des Guelfes a été vendu en raison de la pression faite par les nazis a eu lieu en Allemagne. La fondation en était venue à la conclusion que la vente des œuvres avait été faite de façon volontaire et que le prix obtenu par les vendeurs était juste en fonction du marché de l’époque. Une commission allemande qui avait pour but d’enquêter sur les cas de vols de biens par les nazis avait approuvé ce résultat.

M. Parzinger a ajouté que des archives « montrent clairement qu’il y a eu de longues et difficiles négociations pour le montant de la vente, et que les deux parties se sont rencontrées exactement à mi-chemin de leurs demandes initiales. »

Les héritiers des marchands disent toutefois que le prix de la vente, 4,25 millions de Reichsmarks, correspondait seulement au tiers de la valeur réelle de la collection.

En fonction des principes du droit international, les ventes de biens par des Juifs dans l’Allemagne nazie sont également présumées avoir été faites sous pression. Elles ne sont donc pas valides, selon l’avocat des héritiers, Nicholas O’Donnell.

Le grand-père de M. Leiber, Saemy Rosenberg, et ses deux associés de Francfort ont vendu certaines pièces du trésor de Guelfes à l’extérieur de l’Allemagne. Toutefois, ils ont bien mal choisi le moment pour le faire. La Grande Dépression des années 30 a frappé peu après qu’ils ont eu acheté la collection. Certaines œuvres ont été vendues au Musée d’art de Cleveland et à des collectionneurs. L’État de la Prusse, qui était sous l’emprise des nazis, a acheté les pièces restantes en 1935. Les deux camps ne s’entendent pas pour savoir si la collection a été offerte en cadeau à Hitler.

M. Leiber soutient que son grand-père ne lui a jamais parlé de la collection, même s’ils jouaient aux échecs ensemble tous les dimanches lors de son enfance.

« Il ne m’a jamais parlé de la guerre. Il ne m’a jamais parlé de tout ce qu’il a perdu. Il ne m’a jamais parlé de toutes les atrocités que sa famille et lui ont vécues. […] Je crois que c’était très important pour lui de laisser tout ça derrière lui, pour continuer d’avancer », a affirmé M. Leiber.

M. Rosenberg est retourné aux États-Unis pour établir sa boutique d’art à New York. À sa mort en 1971, le New York Times lui a attribué le titre « d’important marchand d’art international », en plus de souligner qu’il avait fait affaire avec le magnat du pétrole Paul Getty, le président de CBS William S. Paley et le Metropolitan Museum of Art de New York.

Durant les 50 années qui se sont écoulées depuis la mort de son grand-père, M. Leiber a eu sa propre carrière dans le domaine artistique. En 1992, il a fondé les studios d’enregistrement NightBird au Sunset Marquis Hotel de Hollywood, où il a collaboré avec des artistes comme Madonna, U2, Miley Cyrus et Justin Bieber. Il est d’ailleurs particulièrement fier de son travail réalisé auprès du guitariste Jeff Beck et de la regrettée Aretha Franklin. Selon lui, son grand-père a été une figure d’inspiration importante dans sa vie.

« Il est comme un superhéros dans ma vie, a confié M. Leiber. J’ai décidé que j’allais faire tout en mon possible pour retrouver ce qu’on lui a enlevé. »