Fruit d’une collaboration du Musée des beaux-arts du Canada (MBAC) avec la National Gallery de Londres, Gauguin. Portraits est la toute première exposition consacrée exclusivement au talent de portraitiste de Paul Gauguin (1848-1903), le peintre français fasciné par la Polynésie. Un déploiement d’œuvres d’art qui vaut le détour en Outaouais cet été.

Une soixantaine de peintures, sculptures, estampes et dessins provenant de 45 collections publiques et privées. Une exposition qui décrypte avec brio Gauguin le portraitiste. L’idée émane au départ de la spécialiste de l’art européen de la fin du XIXe siècle Cornelia Homburg, qui avait déjà conçu l’expo Van Gogh. De près, à l’affiche, avec grand succès, au MBAC en 2012.

Gauguin. Portraits est un bonheur inédit pour tout amateur d’art désirant peaufiner ses connaissances sur Paul Gauguin, ce moderniste incontournable, d’une grande curiosité artistique et qui aura tout fait pour se distinguer des autres artistes.

L’exposition est aussi une rencontre avec l’exotisme, le monde des idées et les clichés d’un temps où la France était éblouie par le pittoresque et l’étrangeté des cultures d’ailleurs, notamment de ses colonies.

PHOTO PATRICK WOODBURY, LE DROIT

Commissaire de l’exposition, Cornelia Homburg présente une des œuvres majeures de l’expo Gauguin. Portraits, soit Tehamana a de nombreux parents ou Les ancêtres de Tehamana (Merahi metua no Tehamana), peinte en 1893. 

Considéré comme un être arrogant et prétentieux, Gauguin avait beaucoup voyagé, dès son enfance au Pérou, et développé une identité plurielle et complexe, comme il l’illustre dans Autoportrait à l’idole où le chandail breton côtoie la déesse polynésienne.

PHOTO FOURNIE PAR LE MBAC

Autoportrait à l’idole, vers 1893, de Paul Gauguin (1848-1903), huile sur toile, 43,8 cm x 32,7 cm. McNay Art Museum, San Antonio. Legs de Marion Koogler McNay.

Sa dualité identitaire et son désir de se distancier de l’impressionnisme l’ont parfois desservi. Mais il ne se privait pas de fréquenter les salons et vernissages parisiens ainsi que ses amis symbolistes, dont Stéphane Mallarmé. Gauguin, en 2019, aurait été un grand consommateur de réseaux sociaux !

Autoportraits

La vingtaine d’autoportraits exposée illustre d’ailleurs l’énergie qu’il a consacrée à son autopromotion. Désireux de se faire connaître et d’affirmer ses ambitions, il n’a pas hésité à multiplier les autoportraits et à y interpréter parfois des personnages tels que Jésus dans Le Christ au jardin des Oliviers et dans Autoportrait (près du Golgotha), avec ses yeux en amande et son regard mi-suffisant, mi-éteint.

Imprégné de l’air du temps, il a développé son propre style. Dans la représentation, Gauguin ne cherchait pas la ressemblance. Il laissait voguer son imaginaire, optant pour la caricature ou, à tout le moins, pour une interprétation libre, même à ses dépens quand il exagérait la courbe de son nez ou la largeur de son front.

PHOTO FOURNIE PAR LE MBAC

Nature morte au profil de Laval, 1886, de Paul Gauguin (1848-1903), huile sur toile, 46 cm x 38 cm. Indianapolis Museum of Art at Niewfields.

Une salle est consacrée à l’influence de ses amis artistes. Gauguin les a peints ou a évoqué leurs œuvres dans ses toiles. Par amitié, respect ou besoin de se mesurer à eux. Ce fut le cas de Charles Laval et de Louis Roy, mais aussi de Vincent Van Gogh, avec qui il a vécu deux mois à Arles en 1888. Mais cela finira abruptement, quand Van Gogh s’est tranché l’oreille après une énième chicane avec Gauguin.

C’est toutefois son autre ami néerlandais, Meijer de Haan, qu’il aura le plus portraituré. Et il ne l’a pas épargné, notamment dans Portrait de Meijer de Haan, une huile sur bois de 1889 où l’ami a l’air d’un diablotin.

PHOTO PAIGE KNIGHT, FOURNIE PAR LE MBAC

Portrait de Meijer de Haan, (1889),
 de Paul Gauguin (1848-1903), huile sur bois, 79,6 cm x 51,7 cm. The Museum of Modern Art, New York. Don de M. et Mme David Rockefeller, en 1958.

Il l’a également immortalisé, dans une pose contemplative et les yeux à demi fermés, en sculptant son portrait dans un vieux bloc de chêne. La sculpture Portrait de Meijer de Haan (1889-1890) a fait l’objet d’une étude intensive, dirigée par Doris Couture-Rigert, conservatrice en chef du service de conservation du MBAC, qui a travaillé pendant cinq ans sur cette exposition.

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Une salle est consacrée à la conception de ce buste polychrome qui appartient au MBAC et qui est à l’origine même de l’exposition.

La section sur les modèles féminins de Gauguin est intéressante, avec des portraits de sa compagne tahitienne Tehamana, dont le somptueux Tehamana a de nombreux parents ou Les ancêtres de Tehamana, de 1893. On y trouve aussi d’autres œuvres splendides comme Portrait de madame Roulin (1888), Portrait de la mère de l’artiste (1889-1893), La femme à la fleur (1891), La boudeuse (1891), L’esprit des morts veille (1894), Jeune chrétienne (1894) et le vase en céramique représentant Madame Schuffenecker.

L’appartenance de Gauguin au courant symboliste est aussi illustrée dans l’exposition. Elle s’incarne parfaitement dans Tehura, une sculpture (en bois de pua) de la tête d’une jeune Tahitienne à l’arrière de laquelle Gauguin a représenté une silhouette idéalisée.

Il manque quelques belles toiles de la période polynésienne dans cette expo, comme Le rêve (1897), Eh quoi, tu es jaloux (1892) ou encore Le germe des Areois (1892), exposée au Musée national des beaux-arts du Québec, à Québec, en 2013, avec Les lavandières à Arles. Mais on le pardonne aisément. Ce déploiement remplit son objectif initial, soit de montrer l’attachement de Gauguin au genre du portrait, très à la mode à la fin du XIXsiècle, alors que la photographie pointait son nez.

Des critiques décriaient cette fascination pour le portrait, estimant qu’il était une célébration vaine des individus. Que diraient-ils aujourd’hui des égoportraits ? D’autres considéraient le portrait comme « une des plus hautes branches de l’art » puisqu’il signe une époque.

Avec le portrait, Gauguin a parlé de son temps, mais aussi beaucoup de lui-même. De ses goûts, de ses envies, de ses idées sur l’art et de ses humeurs. Artiste toujours en quête, il a ajouté avec magnificence une part d’onirisme dans la représentation. Et inspiré une foule d’artistes, les nabis à la fin du XIXe, Matisse, Bonnard et Picasso au XXe, et même des artistes actuels comme Peter Doig. Gauguin. Portraits est à la fois un hommage appuyé et pondéré à ce maître de l’avant-garde.

Gauguin. Portraits, jusqu’au 8 septembre au Musée des beaux-arts du Canada, à Ottawa, puis à la National Gallery, à Londres, dès le 7 octobre