Présentée à la galerie Catalogue, au 5e étage du Belgo, l'exposition Spirituals émane de la rencontre entre un collectionneur d'art clairvoyant, Pierre Bourgie, et un art africain et afro-américain contemporain qu'il estime pour son langage éclairant, universel et profondément humain. Fortes, les oeuvres d'art exposées jusqu'au 6 avril illustrent les valeurs du mécène montréalais. 

Pour Spirituals, Pierre Bourgie a puisé six spécimens de sa collection de 400 oeuvres d'art qu'il construit, pièce par pièce, au rythme de ses coups de coeur, depuis 40 ans. Il possède bien des oeuvres des sociétés traditionnelles africaines, mais il tenait à mettre de l'avant des oeuvres contemporaines, notamment sculpturales, d'artistes internationaux peu connus au Québec. 

Quand il s'est associé au Musée des beaux-arts de Montréal pour créer la salle de concert qui porte son nom au coeur de l'ancienne église Erskine and American, il a décidé de se doter de quelques oeuvres d'art liées à la musique. Parmi celles-ci, il en a sélectionné deux pour l'exposition. 

D'abord, Librettos : Manuel de Falla/Stokely Carmichael, oeuvre conceptuelle réalisée en 2015 par l'artiste afro-américain Charles Gaines. Inspirée de John Cage, elle croise musique, langage et droits de la personne. Avec des partitions et des extraits du livret en français de l'opéra La vida breve, de Manuel de Falla, et les paroles engagées, notamment anticapitalistes, du Black Panther Stokely Carmichael (1941-1998). Un contraste frappant entre douceur et rage, poésie et revendications.

L'autre oeuvre musicale est Untitled (Singer Choir/Chorus), du grand artiste sud-africain William Kentridge. Une pièce constituée de machines à coudre Singer qui émettent des chants de travailleurs noirs dans des champs de coton. 

Un assemblage impressionnant que Pierre Bourgie a logiquement placé près d'Under the Sun, 36 impressions de Robin Rhode, un artiste sud-africain vivant à Berlin, très inspiré par l'art urbain et très engagé socialement. Under the Sun évoque la dureté du labeur sous le soleil et s'associe donc à merveille à la sculpture musicale de Kentridge. 

« Mon plaisir ici est de faire des liens, dit Pierre Bourgie. Et cette expo est peut-être plus politique et plus costaude que les précédentes ! » 

Le philanthrope diffuse une autre oeuvre de Robin Rhode, la vidéo The Moon Is Asleep, qu'il a acquise dans une galerie de Chelsea, à New York.

Il s'agit d'une performance d'un acteur filmé devant un mur évoquant un lit sur lequel s'étalent des vagues au-dessus desquelles se déploient différentes phases lunaires. La vidéo de 1 min 50 s est accompagnée d'un poème dramatique de Don Mattera qui évoque le souvenir d'un ami mort du sida, maladie qui a tant ravagé le continent africain.

La plus grande oeuvre exposée dans la grande salle de la galerie Catalogue est signée Ibrahim Mahama, artiste ghanéen qui crée de gigantesques installations en toiles de jute et morceaux de cuir, utilisés dans son pays pour transporter du charbon ou des fèves de cacao. 

Pierre Bourgie en a acheté un exemplaire de 4,40 m x 1,77 m, lors d'un séjour à Londres. « Ibrahim Mahama crée ces oeuvres avec des jeunes qui vont coudre ces poches de cacao ou de charbon ensemble, dit-il. Cette oeuvre m'a touché. Elle parle de précarité, de migrants en quête de travail et donc de tissu social. Ça me rappelle l'expo que nous avons montée juste avant avec les oeuvres de John Heward. » 

Spirituals porte bien son nom. L'exposition témoigne du foisonnement culturel et intellectuel qui habite Pierre Bourgie. Son goût particulier pour la beauté et pour l'histoire des hommes, pas toujours fastueuse mais fascinante. Notamment celle de l'art africain, amorcée avec les arts premiers et qui se poursuit aujourd'hui, en tissant traditions, valeurs, modernité et bien des espoirs. 

C'est d'ailleurs la raison pour laquelle l'exposition s'achève par une statue du peuple baoulé, de type blolo bian, sculptée en Côte d'Ivoire dans les années 1850 et que Pierre Bourgie a achetée à Paris. Une statuette de 18 po de hauteur. Une femme qui pose délicatement ses mains sur son abdomen, près du nombril, pour incarner l'importance de la fécondité. 

« J'ai voulu la mettre à l'entrée de l'expo car toutes les autres oeuvres sont le résultat du colonialisme, alors que cette statuette baoulée représente, pour moi, la pureté de la vie », dit Pierre Bourgie.

Spirituals, jusqu'au 6 avril à la galerie Catalogue, 372, rue Sainte-Catherine Ouest, local 516. Ouvert du jeudi au samedi, de 11 h à 17 h.