Mettre en valeur «le mystère du processus créatif de Picasso» en confrontant les oeuvres aux archives: le bouillonnement artistique du peintre espagnol est au coeur du nouvel accrochage du Musée Picasso à Paris.

«On a voulu montrer un foisonnement, une multiplicité de l'oeuvre» avec une partie des 200 000 pièces d'archives (dont 17 000 photographies), «continent immergé de la collection du musée» qui vient de fêter ses 30 ans, explique son président Laurent Le Bon.

Picasso aurait réalisé 70 000 oeuvres là où Vermeer a peint une quarantaine de toiles, souligne le directeur, nommé en juin 2014, peu avant la réouverture du musée à l'issue de cinq ans de lourds travaux de rénovation.

«Des artistes qui ont créé autant, sur une si longue période et dans tous les champs disciplinaires - sculpture, cinéma, assemblage, performance, peinture -, je crois qu'il n'y en a pas», estime-t-il.

Laurent Le Bon a dû composer avec l'accrochage de l'ancienne directrice Anne Baldassari, conçu peu avant son limogeage à la suite d'une grave crise interne.

À un parcours magistral sur trois niveaux visant à «restituer Picasso dans tous ses états», le nouvel accrochage substitue pour une part des sections «Picasso intime» (3e étage) et «Picasso figure publique» (2e étage) avec à chaque fois un dialogue entre les documents et les oeuvres (dont 105 peintures et 92 sculptures).

Révolutionnaire en permanence

Picasso est un des premiers artistes à forger sa propre image dans les médias, au point d'entretenir une relation suivie avec l'hebdomadaire Paris Match. «Dans la deuxième partie de sa vie, lorqu'il mène une existence très recluse, il continue à contrôler son image, que ce soit à la plage, à la corrida ou au restaurant», souligne Laurent Le Bon.

Le rôle des femmes dans l'oeuvre et la vie du génie andalou, les relations avec ses amis Matisse, Miro et Brassaï, ses affinités avec les maîtres du passé, certains figurant dans sa collection personnelle, sont autant de sujets abordés dans la partie «intime».

Picasso gardait les objets les plus divers: dans une vitrine, le contenu d'une boîte où les commissaires de l'exposition ont découvert une petite statue ibère, des muselets (fil de fer) de bouteilles de champagne sculptées par l'artiste et un dessin de Georges Seurat.

Articles de journaux, photos, télégrammes, lettres-poèmes, affiches, notes de restaurant: les documents sont présentés à la verticale entre des lames de verre, selon la scénographie conçue par Jasmin Oezcebi.

«Nous avons voulu rendre compte de l'énergie créatrice» de l'artiste, résume Laurent Le Bon. «On n'a pas un Picasso sacralisé, même s'il y a énormément de chefs d'oeuvres» déployés sur les deux premiers niveaux de l'Hôtel Salé, un des plus beaux hôtels particuliers de France, dans le quartier du Marais, au coeur de la capitale.

Au rez-de-chaussée, un parcours (1897-1921) allant des autoportraits au cubisme en passant par les périodes bleue et rose, au premier étage, une autre séquence (1922-1973) reliant les Baigneuses à la série des déjeuners sur l'herbe en passant par le surréalisme, l'abstraction et les peintures de guerre.

On peut découvrir l'année 1935, durant laquelle Picasso a totalement cessé de peindre pour se consacrer à l'écriture poétique dont plusieurs essais manuscrits (en français et en espagnol) sont présentés.

Picasso est «révolutionnaire en permanence, il est à l'écoute de la société, de ses collègues, il a révolutionné le portrait, la nature morte», affirme Laurent Le Bon.

La collection du musée Picasso, la plus complète au monde de l'artiste espagnol, comprend quelque 5000 oeuvres, dont 297 peintures et 368 sculptures. Elle provient de deux dations, celle des descendants de Picasso en 1979, et celle des héritiers de Jacqueline Picasso en 1990.