Écrit à New York et à Long Island en 1942, Le Petit Prince de Saint-Exupéry fait l'objet d'une exposition à la bibliothèque-musée The Morgan, à Manhattan, à l'occasion du 70e anniversaire de sa publication. Une expo fort sérieuse pour le plus adulte des livres d'enfant.

En avril 1943, quand Antoine de Saint-Exupéry quitte finalement New York pour retourner à la guerre, il s'excuse de n'avoir rien de mieux à offrir à son amie Silvia Hamilton que le manuscrit de son livre Le Petit Prince. «C'est tout ce que j'ai», lui dit-il, en déposant un sac froissé sur sa table d'entrée.

Soixante-dix ans plus tard, ce sont les pages exceptionnelles de ce manuscrit qui servent de fil conducteur à l'exposition The Little Prince: A New York Story.

Présentée à quelques enjambées de l'Empire State Building, l'expo retrace ainsi la genèse new-yorkaise du livre de fiction le plus traduit du monde (plus de 250 langues!).

«Pouvoir lire le manuscrit donne un sentiment d'intimité avec l'auteur, un peu comme si on le regardait travailler par-dessus son épaule», assure la curatrice Christine Nelson.

Premier constat en regardant par-dessus l'épaule du célèbre pilote d'avion? Il écrivait comme un médecin. Ses griffonnages sont quasi indéchiffrables. Tâchées de café et parsemées de brûlures de cigarettes, les aquarelles et les pages du manuscrit montrent un écrivain aux méthodes de travail chaotiques, mais extrêmement méticuleux.

Deux fois plus de mots

Le manuscrit qui appartient aujourd'hui à la bibliothèque-musée compte ainsi plus de 30 000 mots, soit plus du double de la version publiée. De nombreux passages, notamment les références à New York, au Rockefeller Center et à Long Island, ont ainsi disparu de la version finale.

La phrase la plus célèbre du livre, «l'essentiel est invisible pour les yeux», fait quant à elle l'objet d'une quinzaine de versions. «Contrairement à la réputation qu'il avait d'être distrait par n'importe quoi, Saint-Exupéry travaillait énormément ses textes», soutient la curatrice.

Publié à New York en avril 1943, Le Petit Prince n'a pas immédiatement été un succès. Il n'a figuré que deux semaines sur la liste des meilleurs vendeurs du New York Times. Malgré tout, le livre n'a pas manqué d'avoir un impact considérable aux États-Unis. Le cinéaste Orson Welles espérait même en faire un film. Son ébauche de scénario est d'ailleurs visible au Morgan.

Outre des pages du manuscrit et quelques artéfacts, l'expo présente surtout 35 aquarelles originales produites par Saint-Exupéry.

Une aquarelle montre ainsi une version inédite du Petit Prince en train d'observer 44 couchers de soleil successifs sur sa minuscule planète. «Il y a quelque chose de très mélancolique dans cette aquarelle, remarque Christine Nelson. Ce n'est sans doute pas étranger au fait que Saint-Exupéry était en exil aux États-Unis, un pays dont il ne parlait pas la langue.»

L'influence de la guerre

La guerre qui fait rage en Europe et qui est au coeur des pensées de l'auteur a assurément influencé Le Petit Prince, poursuit la curatrice, en pointant les traits des personnages imbus d'eux-mêmes, égoïstes, narcissiques, qui peuplent les pages du livre.

La dernière partie de l'exposition est quant à elle dominée par une magnifique série de photos de Saint-Exupéry alors qu'il est de retour sur le front, en Sardaigne. On est en 1944 et il s'apprête à partir pour un vol de reconnaissance jusqu'au sud de la France. Un vol dont il ne reviendra jamais.

En 1998, un pêcheur remontera par hasard dans ses filets la gourmette appartenant à l'auteur. Cette dernière est présentée à l'entrée de l'exposition. On peut y lire la dernière adresse connue du soldat Antoine de Saint-Exupéry: c'est celle de son éditeur, Reynal et Hitchcock, sur la 4e Avenue à New York.

_______________________________________________________________________________

The Little Prince: A New York Story à la bibliothèque-musée The Morgan, jusqu'au 27 avril.