Des tableaux inconnus, dont un Marc Chagall, font partie des centaines d'oeuvres retrouvées en Allemagne dans l'appartement d'un octogénaire, ont annoncé mardi les autorités allemandes, reconnaissant que certaines avaient été saisies par les nazis.

Rompant le silence, après les révélations de dimanche dans la presse allemande, le parquet d'Augsbourg a dévoilé au cours d'une conférence de presse la nature d'un «trésor» de quelque 1400 oeuvres d'art découvert par hasard pendant une perquisition en février 2012 au domicile munichois, jonché de détritus, de cet homme.

Ces oeuvres sont d'une «qualité tout à fait extraordinaire» et leur découverte a «évidemment provoqué un sentiment de bonheur incroyable», a déclaré Meike Hoffmann, une historienne de l'art de l'université de Berlin, qui assiste la justice sur ce dossier.

Parmi elles, plusieurs pièces inconnues, dont un tableau de Chagall, qui représente une scène allégorique, datant probablement du milieu des années 1920, et d'une «valeur historique particulièrement élevée». Mme Hoffmann a aussi mentionné un autoportrait d'Otto Dix, qui n'était pas répertorié.

Picasso, Chagall, Renoir, Toulouse-Lautrec, Courbet, Matisse, Macke, Dix, Liebermann... La liste des artistes figurant dans cette collection sauvage ferait se pâmer d'envie n'importe quel conservateur de musée.

Il ne s'agit pas que d'art moderne, a souligné Mme Hoffmann, révélant que la plus ancienne des peintures remontait au XVIe siècle.

La spécialiste a aussi confirmé qu'une peinture de Matisse, un portrait de femme datant probablement du milieu des années 1920, devait appartenir au marchand d'art juif Paul Rosenberg, dont l'héritière est la journaliste française Anne Sinclair.

La collection parisienne de Paul Rosenberg avait été confisquée lorsqu'il avait fui la France en 1940.

La toile en question a sans doute été saisie à Libourne en 1942, a précisé Mme Hoffmann.

Au total, 1406 dessins, aquarelles, lithographies ou tableaux, ont été trouvés dans l'appartement de Cornelius Gurlitt, fils d'un grand collectionneur d'art qui avait collaboré avec les nazis en écoulant à l'étranger des oeuvres volées aux juifs.

Au moment de la perquisition de l'appartement, le 28 février 2012 - et non en 2011, comme annoncé jusque-là par la presse allemande -, «121 oeuvres encadrées et 1285 sans cadre ont été saisies», a dit Reinhard Nemetz, le procureur général d'Augsbourg.

«Concernant ces oeuvres, dont la valeur théorique ne saurait être surestimée, nous avons rapidement eu des éléments concrets laissant penser qu'il s'agissait, pour certaines, d'oeuvres appartenant à l'«art dégénéré» et à des oeuvres volées» à des juifs sous le nazisme, a-t-il poursuivi.

Saisie de 21 000 oeuvres d'«art dégénéré»

Le régime hitlérien avait fait confisquer à partir du milieu des années 1930 dans les musées allemands près de 21 000 oeuvres d'artistes qu'il qualifiait d'«art dégénéré», par opposition à l'art «héroïque» officiel. Certaines ont été détruites, d'autres vendues, notamment en Suisse, d'autres ont été achetées à bas prix par des collectionneurs.

Cornelius Gurlitt, qui a vécu des années sans existence officielle en Allemagne, subvenait à ses besoins en vendant de temps à autre des dessins de la collection héritée de son père.

Gurlitt semble par ailleurs atteint de syllogomanie, un trouble obsessionnel qui pousse à une accumulation compulsive d'objets divers, car son appartement était rempli de détritus et de boîtes de conserve périmées, dont certaines depuis près de 30 ans.

L'enquête ouverte à son encontre porte sur une «fraude fiscale» présumée, mais aussi sur un éventuel «recel», s'il se révèle que certaines des oeuvres ont été volées, a souligné le magistrat.

Selon Siegfried Klöble, responsable des douanes de Munich, les oeuvres étaient «conservées dans de bonnes conditions» et ont été retrouvées «dans un très bon état».

Il a  fallu trois jours à une société spécialisée dans le transport des objets d'art pour les déplacer vers un lieu que les autorités n'ont pas voulu préciser.

Mme Hoffmann souligne que «les recherches sur l'origine des oeuvres sont complexes et prennent beaucoup de temps». Le procureur général a toutefois exclu que des photos soient mises en ligne pour faciliter leur identification ou la recherche des propriétaires légitimes, car cela pourrait être contraire à l'intérêt de ces derniers.

Cornelius Gurlitt, qui ne fait pas l'objet d'un mandat d'arrêt, pour le moment, dispose également d'un passeport autrichien et d'une maison à Salzbourg, ont affirmé des médias en Autriche.

Le magistrat Reinhard Nemetz a indiqué mardi que les autorités allemandes n'étaient pas en contact avec M. Gurlitt et ignoraient l'endroit où il se trouvait actuellement.

Quelques-unes des oeuvres

- Canaletto (1697-1768), gravure, vue de Padoue.

- Carl Spitzweg (1808-1885), dessin, Das musizierende Paar (couple de musiciens), figure au catalogue raisonné.

- Ernst Ludwig Kirchner (1880-1938), gravure sur bois en couleur avec un motif de femme, provenance: musée de Mannheim.

- Max Beckman (1884-1950), peinture de Zandvoort, figure au catalogue raisonné.

- Franz Marc (1880-1916), gouache, Landschaft mit Pferden (paysage avec des chevaux), provenance: musée de Moritzburg.

- Gustave Courbet (1819-1877), Jeune fille à la chèvre. Il existe deux versions de l'oeuvre, toutes deux au catalogue raisonné. Celle retrouvée à Munich a, selon Mme Hoffmann, été achetée aux enchères en 1949.

- Marc Chagall (1887-1985), gouache, scène allégorique, non répertoriée au catalogue, provenance incertaine.

- Henri Matisse (1869-1954), huile représentant une femme assise, non répertoriée au catalogue. Le tableau daterait du milieu des années 1920. Saisi dans un coffre de Libourne (France) en 1942 par l'Einsatzstab Reichsleiter Rosenberg, (ERR) unité du 3e Reich commandée par Alfred Rosenberg qui avait pour mission de piller l'Europe des oeuvres d'art qui pourraient constituer un musée nazi.

- Max Liebermann (1847-1935), peinture, deux cavaliers sur la plage.

- Otto Dix (1891-1969), lithographie en couleur représentant une femme âgée. Provenance incertaine. De nombreux dessins et gravures de Dix provenant des saisies d'«Art dégénéré» dans les musées allemands ont été retrouvés à Munich.

- Otto Dix, Autoportrait, jusqu'à présent inconnu. Devrait dater de 1919.